Une zone franche au milieu de la forêt

Bom dia! Je suis Hugo et j'ai créé cette newsletter pour vous emmener comprendre l’Amazonie avec les gens qui y vivent. Dans cette édition, je vous parle de moto, de fiscalité et de forêt.

Station Amazonie
4 min ⋅ 30/07/2025

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95% des motos du Brésil sont produites en Amazonie. 

1,5 millions de motos sortent tous les ans de la plus grande zone franche du Brésil, au bord du fleuve Rio Negro, à Manaus. 

(Une Zone franche c’est un territoire où les entreprises ont des exemptions d’impôts)

En 2024, la zone franche de Manaus a connu un chiffre d'affaires record de 32,1 milliards d’euros (204 milliards de reais) - soit l’équivalent du PIB de l’Islande. 

Sauf que dans le cas de Manaus, il est généré à l’échelle d’une ville (10 000 km carré).

Et avec une croissance de 16% en 2024, cette success story ne semble pas près de s’arrêter. 

Mais à l’heure où le monde entier se demande comment sauver l’Amazonie, on peut se demander pourquoi 600 industries high-tech sont encouragées par des exemptions d’impôts à y produire toujours plus.

Le port de la Zone Franche de Manaus, d'où partent les marchandises (c) blog econet Le port de la Zone Franche de Manaus, d'où partent les marchandises (c) blog econet

Née sous la dictature militaire

Quand le Pôle Industriel de Manaus (PIM) a été créé en 1967, la ville comptait 200 000 habitants et son économie était basée sur l'extractivisme (la collecte de matières premières dans la forêt). 

Et notamment l’exploitation du caoutchouc qui a fait la grandeur de la ville mais aussi sa décadence. Entre 1879 et 1912, en pleine révolution industrielle, l’Amazonie était la seule productrice de caoutchouc. 

Avant que les anglais ne parviennent à développer des plantations en monoculture en Asie.(J’en parlais dans cet article, où je revenais sur l’échec entrepreneurial retentissant de Ford dans la région).

Presque du jour au lendemain, c’est la ruine et la ville passe d’une situation de monopole de rente à un sous-développement économique. 

Aujourd’hui, la ville compte plus de 2 millions d’habitants et est devenue l’un des principaux pôles industriels du pays. 

C’était l’objectif de cette zone franche : le développement industriel et économique d’une région marginalisée depuis la fin du boom du caoutchouc.

“La création de la Zone Franche de Manaus a été justifiée par la dictature militaire par la nécessité d’occuper une région dépeuplée. Il était nécessaire pour cela, de doter la région des moyens d’existence et des infrastructures propres à attirer de la main d'œuvre et du capital, national et étranger.” 

José et Marcelo Serafico sont deux chercheurs de l’Université Fédérale de l’Amazonas, et comme ils l’expliquent dans un article scientifique publié en 2005, la Zone Franche s’inscrit dans un projet national d’intégration à marche forcée. 

Depuis le Coup d’État de 1964, les militaires au pouvoir mènent un plan intitulé “Operação Amazônia” dont le slogan était “integrar para não entregar”, intégrer pour ne pas la livrer (sous entendu aux étrangers). 

Cette opération visait à intégrer le pays, du point de vue militaire, politique et économique. 

Il s’agissait d’exploiter les ressources de la région (minerais, bois, eaux, terres) et d’occuper un territoire considéré stratégique et vulnérable à l’influence étrangère. 

La Zone Franche a répondu aux attentes des militaires et aujourd’hui 130 000 personnes travaillent aux seins d’entreprises nationales et internationales comme Samsung, Honda, LG ou Yamaha. 

 Depuis la démocratisation et la constitution de 1988, le privilège a été prorogé par les autorités. 

Annonce de journal, appelant les brésiliens à investir en Amazonie (c) Histormundi Annonce de journal, appelant les brésiliens à investir en Amazonie (c) Histormundi

Contre-intuitif : la zone franche n’est pas forcément une mauvaise nouvelle pour la forêt 

Les critiques, elles, ne viennent pas forcément des militants de la cause environnementale. 

Tout d’abord, parce qu’en favorisant des emplois urbains et concentrés sur un petit territoire (10 kilomètres carrés en ville), la Zone Franche permettrait de préserver la forêt qui entoure Manaus. De fait, 95% de la forêt aux alentours de Manaus est protégée. 

À titre de comparaison, Belém qui n’a pas bénéficié du même avantage fiscal, est faiblement industrialisée et ses alentours fortement déforestés. (Je parlais dans cet article du dernier bout de forêt primaire de la région métropolitaine de Belém). 

Certains y voient même une mesure de justice sociale : la région ayant longtemps été maintenue sous développée, la Zone franche est parfois décrite comme une compensation historique. 

L'un des clichés les plus connus de Manaus : la ville, et la forêt (c) Adriano Liziero/Museu da AmazôniaL'un des clichés les plus connus de Manaus : la ville, et la forêt (c) Adriano Liziero/Museu da Amazônia

Les critiques les plus virulentes proviennent d’économistes qui questionnent un modèle de développement artificiel et sans réel impact structurel. 

L’économiste de la Fondation Getulio Vargas, Samuel Pessôa (et gestionnaire de fortune), donnait son opinion en ces termes, dans un article publié en août 2024 : 

“C’est quoi la Zone Franche ? Je prends des pièces détachées produites à Sao Paulo, les mets dans un camions jusqu’au port de Santos, dans un bateau jusqu’au Pernambouc, dans un autre bateau jusqu'à Manaus, je monte la moto à Manaus et je la remets dans un bateau, jusqu'à Sao Paulo et je la vends. C’est pas tenable.”

Le Ministre des finances du Président Lula, Fernando Haddad, reconnaît lui que la Zone Franche est un mécanisme clé pour l’économie locale et la protection de l’environnement en Amazonas. 

Mais, comme il le déclarait lors d’un événement bancaire en février dernier, “la véritable boîte noire qui existe au Brésil est le budget fédéral ; du point de vue des dépenses, il est plus petit, mais du point de vue des renoncements fiscaux, c’est un scandale.” 

C’est entre 30 et 40 milliards de reais (entre 4,5 et 6 milliards d’euros) qui ne rentrent pas dans les caisses de l’État. Ou qui pourraient être alloués ailleurs. 

Forcément ça n’est pas évident, surtout en 2025. Conjoncture mondiale, endettement, crise politique et démocratique : au Brésil, comme en France, boucler le budget est un véritable casse-tête. 

La Zone Franche, elle, opère sa mue. 

Fiscalité toujours, mais cette fois-ci au profit de la bioéconomie 

Depuis 2019, les entreprises qui bénéficient des avantages fiscaux de la Zone Franche doivent légalement consacrer 5% de leur chiffre d'affaires à des projets de recherche, développement et innovation dans la région. 

Ces ressources peuvent être investies dans la bioéconomie. C’est en tout cas ce à quoi les entreprises sont incitées (mais pas forcées). 

La bioéconomie, comme elle est définie dans le Plan de la bioéconomie du Brésil (2023), c’est : “un modèle de développement durable basé sur l’usage de la biodiversité et des connaissances scientifiques, technologiques et traditionnelles, pour générer de l’innovation, de l’inclusion sociale et préserver l’environnement.”

La chocolaterie Filha do Combu, qui propose des produits bean-to-bar, à quelques minutes en bateau de Belém (c) Dany Neves pour Station AmazonieLa chocolaterie Filha do Combu, qui propose des produits bean-to-bar, à quelques minutes en bateau de Belém (c) Dany Neves pour Station Amazonie

Des projets comme le Programme Prioritaire de Bioéconomie (PPBio) voient ainsi le jour pour promouvoir ces investissements perçus comme durables car basé sur une valorisation raisonnée des ressources locales. 

Géré par la Superintendance de la Zone franche (SUFRAMA), ce type de programme n’a pas (seulement) vocation à verdir l’image d’un territoire qui voit ses privilèges menacés. 

Il s’agit d’une opportunité dans un marché porteur : l’écosystème de la bioéconomie dans l’État de l’Amazonas (dont Manaus est la capitale) est en train de se consolider, comme dans le reste du Brésil et du monde. 

(Je tirais ici le portrait d’une entrepreneuse de la bioéconomie, Dona Nena, qui avait reçu la visite des présidents Macron et Lula en 2024 et je parlais ici d’un de ses défis). 

Belém, la capitale de l’État voisin construit elle aussi son pôle de la bioéconomie. 

Un projet de loi est même à l’étude : une députée a proposé de créer dans la ville hôte de la COP une Zone franche… de la bioéconomie. 

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De la brega, un des styles de musique les plus populaires en Amazonie paraense,
+ Un chanteur déguisé en batman, un bassiste en spiderman
+ un clip tourné sur les racines des arbres dans la mangrove du Marajo

= encore une pépite de la scène musicale paraense.

Et de quoi animer vos soirées d’été : la chanson s’appelle “Miss Vitamina”.

Et sinon, il y a toujours la playlist spotify de Station Amazonie, des pépites de toutes les tailles et toutes les couleurs.

Station Amazonie

Par Hugo Kloëckner

La première fois que je suis allé en Amazonie, je rêvais d’aventure. J’avais été biberonné au Marsupilami et aux documentaires. Je suis tombé de haut.

Cette chute, je l’ai tant aimée, que je suis resté en Amazonie. Je suis basé à Belém depuis cinq ans. Station Amazonie est le prolongement de ce projet de vie.

Diplômé d’HEC, passé par le conseil et le monde de l’entreprise, je suis aujourd’hui indépendant et travaille comme consultant et interprète.


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