Bom dia! Je suis Hugo et j'ai créé cette newsletter pour vous emmener comprendre l’Amazonie avec les gens qui y vivent. Dans cette édition, je vous parle de la seule personne capable d'arrêter la ville. Même à la veille de la COP.
Cette newsletter existe parce que j’y dédie du temps et des moyens financiers. Si vous le souhaitez, vous pouvez contribuer. Soit en vous abonnant ou en faisant une contribution ponctuelle. Cliquez ICI pour choisir votre contribution !
Depuis un an maintenant, à Belém, c’est COP, COP, COP, matin, midi et soir.
Vacances scolaires déplacées, chantiers à tous les coins de rue, formations d’anglais en accéléré… tout est chamboulé pour recevoir de la meilleure manière les délégations du monde entier.
Mais ce week-end le temps va s’arrêter et la COP sera mise de côté. Pendant quelques jours, la ville n’aura d’yeux que pour une statue de bois de 25 centimètres.
Elle va se promener en voiture, en bateau, en moto, pour finir en beauté, montée sur un carrosse et tirée en triomphe avec une corde par une foule de plusieurs millions de personnes (oui oui, millions).
Cette diva, c’est Nossa Senhora De Nazaré, Notre Dame de Nazaré ou Nazinha comme l’appellent affectueusement les belemenses.
La fameuse statuette dans son carosse doré. (c) Irene Almeida
Tous les ans au mois d’octobre, depuis 1774, la ville célèbre la Vierge au cours de festivités pour lesquels la ville, les croyants comme les non croyants, se préparent toute l’année.
Le carnaval de Rio incarne aux yeux du monde un concentré du Brésil et de sa culture. Un moment particulier qui dit beaucoup du peuple brésilien et de son rapport au monde.
J’habite depuis cinq ans à Belém et je peux en témoigner. Le meilleur moyen de faire une immersion dans l’identité amazonienne et en mesurer toute la diversité et la complexité, c’est de venir à Belém le deuxième dimanche d’octobre.
Parce que le Cirio n’est pas seulement la plus grande festivité catholique du monde. C’est une célébration populaire qui ne peut laisser personne indifférent : une fête de la foi et de l’énergie collective qui va bien au-delà de la célébration de la mère de Jésus.
Les pélerins, le long de la corde qui tire le carosse de Nossa Senhora de Nazaré (c) Roberta Damasceno
Pendant ces quelques jours, les habitants de la ville, et leurs visiteurs, crient leur amour de Nazinha, et puis leur joie d’être ensemble, et chacun peut le faire à sa manière : que ce soit les pèlerins, les croyants, les théâtreux, les travestis, les musiciens, les familles, chacun vient se greffer à cette célébration qui n’appartient à personne puisqu’elles appartiennent à tout le monde.
Pour comprendre un peu mieux ce condensé de Belém et de l’Amazonie, dans tout ce qu’il peut avoir de rationnel et d'irrationnel, de spontané et de complexe, il faut d’abord remonter à son origine.
L'émotion des pélerins (c) Roberta Damasceno
La légende raconte qu’aux alentours de 1700, Placido José de Souza, un caboco (métisse descendant de portugais et d’autochtone, le terme caboco désignait aussi les classes populaires) aurait trouvé, entre les pierres du bord du ruisseau Murutucu, une petite statue de la vierge.
Placido ramène la statue chez lui. Le lendemain elle a disparu de sa maison pour réapparaître à l’endroit où il l’avait trouvé. Cette situation se répétant, Placido décide de construire une petite chapelle en bois. La rumeur se répand et l’image commence à faire l’objet d’une dévotion populaire.
Voyant ce phénomène se densifier, le gouverneur confisque l’image et la place sous bonne garde dans son palais. La statue est retrouvée le lendemain dans sa chapelle de bois, au bord du ruisseau.
Cette fois-ci, le message est reçu et les autorités entreprennent la construction d’une basilique. C’est là qu’est gardée cette statue de la vierge, jusqu’à aujourd’hui.
à l'entrée de la basilique, les pélerins, les passants et les touristes font des voeux et nouent des petits rubans sur les grilles (c) Nathalia Almeida
Le ruisseau a depuis longtemps été recouvert de béton. Mais tous les ans, depuis 1774, la population reproduit le mouvement de la statue.
Le samedi soir, elle est retirée de sa niche dans les hauteurs de la nef de la basilique et postée sur un carrosse pour être amenée en procession jusqu’à l’église de la Sé, à quelques kilomètres de là. Elle y passe la nuit, veillée par des centaines de milliers de fidèles. Le lendemain, elle est de nouveau tirée sur son carrosse pour retourner dans la basilique.
La « translation » reproduit ce mouvement originel du miracle.
En 2024 ce sont donc 2 millions de personnes qui ont accompagné Nazinha. Beaucoup font le chemin à pied depuis des villes éloignés, et pour certains, à genoux.
La foule qui accompagne Nazinha (c) Irene Almeida
C’est d’abord une fête religieuse : les pélerins qui accompagnent la vierge viennent manifester leur foi, faire une demande ou « payer une promesse ».
La corde qui tire le carrosse de Nossa Senhora de Nazaré fait l’objet d’une dévotion particulière. Quand elle arrive à bon port, la foule des romeiros, les pélerins, se jette sur la corde pour la débiter en morceau et en rapporter chez eux un bout. Symbole de leur foi et aussi puissante relique.
Au fil des ans, Nossa Senhora est devenue plus qu’une sainte : elle est un symbole universel que chacun peut s’approprier et honorer selon ses propres codes.
Les pélerins portent des objets qui symbolisent leur demande à Nazinha (c) Roberta Damasceno
Et pour beaucoup ici, elle est la Reine de l’Amazonie.
Dans une région marquée par les divinités autochtones féminines, elle incarne le féminin sacré et incarne la relation avec la Mãe terra, la Terre mère.
Les pratiquants de religions de matrice africaine, comme l’Umbanda ou le Candomblé, participent également aux festivités.
Le babalorixá (prêtre) Adinamar de Ogum se déclare ainsi dévôt de Nazinha car « dans l'Umbanda et le Candomblé, nous vénérons aussi Notre-Dame en tant que Mãe Oxum. »
Mãe Oxum est une divinité (orixá) très vénérée dans les religions afro-brésiliennes pour lesquelles elle incarne la douceur, la beauté, l’amour, la fertilité et les eaux douces.
un homme tient une réplique de la statue, pendant le Cirio (c) Nay Jinknss
Même l’Église évangélique dont le dogme réprouve pourtant le culte des icônes participe, à sa manière, à la procession. Aux portes d’une des plus grandes églises évangéliques de la ville, ses fidèles se réunissent non pas pour rendre hommage à la Vierge, mais pour distribuer de l’eau et à manger aux pélerins.
Nossa senhora est aussi ribeirinha, un terme qui désigne les populations traditionnelles qui vivent en bord de fleuve (j’en parlais dans cet article).
Lors du Cirio fluvial, l’image de la vierge est placé sur um bateau de la Marine Nationale et défile en triomphe dans la baie de Guajara, accompagnée par des milliers de bateaux et de pirogues, le mode de transports le plus traditionnel de la région.
Cirio fluvial, au fond à droite, le bateau de la Sainte (c) Soraya Montanheiro
C’est par le biais de la gastronomie aussi que les influences autochtones et ribeirinhas se font aussi sentir.
La nourriture a une place toute particulière dans la culture paraense (j’en parlais dans cet article).
Lors du Cirio, un autre rituel prend ainsi place, en cuisine : la préparation de la maniçoba.
Fait à base de feuille de manioc, ce plat doit mijoter pendant 7 jours. La raison ? La variété de manioc utilisée pour préparer ce plat contient naturellement un peu de cyanure. La Cuisiner pendant 7 jours permet de faire s’évaporer ce cyanure et de transformer cette mixture en un innocent ingrédient qui va ravir nos papilles.
Dès le mois d’octobre les effluves de la maniçoba envahissent les rues. Les familles préparent une grande marmite qu’elles vont ensuite distribuer à leurs proches et à leurs voisins. (Je reçois 2 ou 3 tupperwares de maniçoba tous les ans).
La maniçoba (c) portal edicasa
Et depuis 1978, une tradition se perpétue : la festa da Chiquita. Après que le passage de Nossa Senhora de Nazaré sur la place de la République, la communauté queer de la ville se rassemble et fait un grand spectacle, en hommage à Nazinha.
Artiste prête à se présenter lors de la festa da chiquita (c) Roberta Damasceno
L’auto do Cirio, qui a lieu le vendredi avant la procession, réunit lui les artistes de la ville qui rendent hommage à Nazinha.
Artiste de l'auto do cirio (c) Nay Jinknss
L’Église catholique et les autorités n’ont pas toujours vu d’un bon œil l’évolution de la procession et ces différents hommages profanes.
Mais, comme je l’ai dit, le Cirio est une manifestation qui appartient à tout le monde.
Un moment où chaque composant de cette diversité amazonienne, produit de la colonisation et du métissage qui s’en est suivi, peut se manifester.
Vu de l’extérieur, le Cirio et la joie qu’ils provoquent chez les habitants de la ville peut paraître difficile à comprendre.
Un morceau de corde qui sera gardé avec soin par les pélerins (c) Roberta Damasceno
Une émotion collective peu lisible pour des sociétés occidentales où ce rapport à la communauté s’est un peu perdu.
Mais de même qu’on ne peut pas réduire l’Amazonie à une simple forêt, le Cirio n’est pas une simple procession catholique.
Il faut que nous (au Nord) acceptions de penser ce territoire à partir de ce qu’il est et avec celles et ceux qui l’habitent, et pas à partir de ce qu’on voudrait qu’il soit.
Sans vouloir rationnaliser ce territoire et sa diversité à notre manière. Ce n’est pas seulement une question de respect.
C’est aussi une question d’efficacité, pour préserver ce territoire, ses habitants et leurs contributions à notre écosystème.
Cette newsletter existe parce que j’y dédie du temps et des moyens financiers. Si vous le souhaitez, vous pouvez contribuer. Soit en vous abonnant ou en faisant une contribution ponctuelle. Cliquez ICI pour choisir votre contribution !