Bom dia! Je suis Hugo et j'ai créé cette newsletter pour vous emmener comprendre l’Amazonie avec les gens qui y vivent. Dans cette édition, je vous emmène dans la start-up nation forestière.
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Premier de cordée ou premier de corvée ?
« On est dans la région qui a la plus grande biodiversité de la planète. Les populations locales ont développé une culture millénaire qui sait interpréter cette carte qu’est la forêt. C’est une opportunité énorme. Et pas seulement pour la philanthropie. Si vous voulez donner, donnez pour l’Amazonie. Mais si vous embauchez, embauchez en Amazonie. Venez construire des labos, monter des masters et investir ici. »
Paulo Reis et son associée, Joana Martins devant les produits de Manioca, une marque d'épicerie fine amazonienne (c) manioca
Paulo Monteiro do Reis est un serial-entrepreneur au profil un peu particulier : associé de deux start-ups, Manioca (une épicerie fine amazonienne) et Amazonique (une marque de jus), il a créé l’Assobio, une association qui réunit 128 entrepreneurs et entrepreneuses au profil tout aussi particulier.
90% d’entre eux sont natifs d’Amazonie et surtout, ils et elles priorisent la préservation du biome (la forêt) et le bien-être de sa population.
Cette vision de l’entrepreneuriat porte un nom : la bioéconomie. Au Brésil, certains parlent désormais de socio-bioéconomie.
Selon le Plan National Brésilien de la socio-bioéconomie, elle vise à promouvoir un modèle de développement qui :
intègre les savoirs traditionnels et les connaissances scientifiques pour une gestion durable de la biodiversité.
Garantit que les communautés locales, en particulier les peuples autochtones, les quilombolas, les extractivistes et les agriculteurs familiaux, soient les protagonistes et les bénéficiaires des activités économiques. (j’en donnais un exemple dans cet article).
Favorise la justice sociale, en réduisant les inégalités et en élargissant l'accès aux marchés, aux technologies et aux opportunités économiques.
Il s’agit grâce à l’activité économique, qu’elle soit pratiquée par des coopératives, des start-ups ou des grandes entreprises, de maintenir a floresta em pé, maintenir la forêt sur pied, en incluant les populations qui la protègent.
La start-up nation forestière
Je suis allé rencontrer Paulo pour qu’il me parle des défis auxquels lui et ses collègues font face.
« Je crois qu’un entrepreneur ici est confronté à de nombreux défis - comme tous les petits entrepreneurs dans le monde - mais peut-être pas à autant de défis simultanément qu’ici. »
L’entrepreneur me liste certains d’entre eux :
« On part de zéro et on travaille avec des produits et ingrédients amazoniens ce qui est un défi parce ce sont des ingrédients très nouveaux pour le monde scientifique, le marché et pour le consommateur ».
Une infime minorité de la biodiversité amazonienne (qui représente 10% de la biodiversité mondiale) est connue, étudiée et surtout valorisée à sa juste valeur par le marché et les consommateurs.
Et puis, l’associé d’Amazonique, une start-up qui produit des jus de fruits amazoniens, aborde un des goulets d’étranglements principaux de la région : la logistique.
On parle même ici du coût amazonien : se déplacer et déplacer des produits en Amazonie prend du temps et nécessite des moyens.
Bateau, avions, camions : monter une chaîne d’approvisionnement à la fois respectueuse de l’environnement et des communautés locales, le tout à un coût qui ne soit pas rédhibitoire pour le consommateur final relève du casse-tête. Et demande souvent des arbitrages complexes.
Mais ce défi n’est pas seulement lié aux caractéristiques géographiques de la région, loin de là.
« Nous vivons dans un pays marqué par son passé colonial, qui a internalisé de nombreux réflexes hérités de cette époque — notamment celui de se considérer comme une simple source de richesses à exploiter. L’Amazonie, elle aussi, a été traitée ainsi, y compris par le reste du Brésil. Cette logique a engendré une forte concentration des richesses, un marché de consommation déséquilibré, et un cercle vicieux qui freine l’installation d’industries locales. Il est urgent de repenser ce modèle. »
(J’en parle justement plus en détail dans cet article, l’indépendance de l’Amazonie).
C’est notamment le rôle de l’Assobio : promouvoir les intérêts des acteurs de la bioéconomie et faire pression sur les politiques pour qu’enfin cette logique soit inversée.
« l’Assobio défend par exemple la mise en place d’une mesure fiscale pour encourager les entreprises à verticaliser leur production sur place. Avec ces activités sur place, on peut payer de meilleurs salaires qui seront réinjectés sur le marché local. On augmente ainsi notre capacité à maintenir les personnes bien formées sur le territoire. »
À ce titre, la COP a joué un rôle positif, à l’échelle locale et nationale.
“Lors des dernières élections, tous les candidats — y compris ceux de l’extrême droite, généralement peu sensibles à ces enjeux — ont évoqué la COP, la préservation de l’environnement et la bioéconomie. Tous. Même si leurs paroles ne sont pas toujours à prendre au pied de la lettre, le simple fait qu’ils aient porté ces sujets devant leurs électeurs est déjà une victoire majeure. Cela montre que ces thèmes sont devenus incontournables dans le débat public.”
Cela a permis, et permet, d’attirer l’attention sur les produits de la socio-bioéconomie, tant de la part de consommateurs que des investisseurs … et des législateurs.
Au Brésil comme dans le reste du monde, la méconnaissance de la réalité de l’Amazonie continue de régner.
Dans une étude (qualitative et quantitative) commandé par l’Assobio à FutureBrand, ils ont cherché à comprendre la perception de l’Amazonie et de la bioéconomie du « brésilien moyen ».
Le résultat :
il ressort de cette étude que 65% des brésiliens pensent qu’il n’y a pas de ville en Amazonie. Dans les fait, 76% de la population amazonienne est urbaine (j’en parle dans cet article, Jungle urbaine).
Comme le décrit l’étude, « l’image de l’Amazonie est fortement marquée par une vision idéalisée et fantasmée, plus perçue comme un mythe que comme un territoire habité ».
Et dans le même temps, « l’image de l’Amazonie est traversée par une réalité tragique marquée par des sentiments de perte et d’urgence face à la destruction continue ».
À tel point que 80% des mentions qui mentionnent l’Amazonie sur les réseaux sociaux sont négatives.
C’est un autre défi de taille pour les acteurs de la socio-bioéconomie : réduire ce décalage entre la réalité et les imaginaires.
Cette perception biaisée, au Brésil, comme en France, ne concerne pas que le brésilien ou le français « moyen ».
Elle concerne aussi les élites financières, politiques et économiques.
« Aujourd’hui, les choses sont en train de changer : de plus en plus de gens viennent sur place casser leur préjuger, se rendre compte sur place des nuances qui existent et sentir ce qu’on ne peut pas expliquer dans une réunion ou sur un power-point ».
À la veille de la COP de Belém, j’ai demandé à l’entrepreneur s’il avait un conseil pour celles et ceux qui voudraient s’engager en faveur de l’Amazonie.
Il m’en a donné trois :
1. Connectez-vous réellement avec la population locale. Pour rappel : la population locale, c’est 30 millions de personnes. Avec une diversité immense de perspectives, de savoirs et de réalités. Il faut lire, échanger, écouter, visiter. Comme le dit Frei Betto, un écrivain brésilien, “la tête pense, mais ce sont les pieds qui marchent”.
2. Impliquez les gens d’ici dans vos projets. Si vous êtes un fonds d’investissement, embauchez un directeur financier issu de la région. Maintenir sur place un professionnel bien rémunéré, porteur d’une histoire et d’une mémoire du territoire, c’est essentiel pour sa préservation. Car ce dont on n’a pas la mémoire, on ne le valorise pas. (j’en parle un peu dans cet article).
3. Et surtout, venez avec des projets ouverts, inachevés. C’est fondamental pour laisser la place à l’adaptation, à la co-construction, et pour permettre aux choses de se développer ici et de bénéficier de toutes les opportunités du territoire.
Pour conclure avec un cas pratique, je vous invite à découvrir Koa, une savonnerie amazonienne implantée à Belém, membre de l'Assobio.
la savonnière et ses produits (c) Irene Almeida
Depuis plus de 8 ans, Dany Neves, savonnière fondatrice de la marque, se consacre à un travail pionnier dans la ville : créer, à partir de zéro, des savons 100 % naturels à partir d'huiles exclusivement locales, en utilisant la méthode traditionnelle du « hot process », la même méthode utilisée dans la fabrication de nos savons traditionnels de Marseille (à la différence que, dans le cas du savon de Marseille, la fabrication se fait à l'échelle industrielle).
Tout comme les savons de Marseille sont nés du savoir-faire technique de la savonnerie associé à la valorisation de la tradition oléicole méditerranéenne, l'objectif de la savonnière lorsqu'elle a créé Koa était de valoriser les huiles amazoniennes à travers la savonnerie naturelle, en créant des formules authentiquement amazoniennes, à commencer par les huiles de base, et en remplaçant, par exemple, l'huile d'olive, grande star de la savonnerie européenne, par des huiles natives dont la composition chimique apporte aux pains toutes les caractéristiques qu'un bon savon doit avoir.
Je connais bien cette start-up, car sa fondatrice est également ma compagne, et je suis souvent « sollicité » en tant que stagiaire en chef pour coller des étiquettes ou donner mon avis sur les parfums naturels exclusifs qu'elle crée pour les produits à partir d'huiles essentielles, de résines et de teintures botaniques.
La version anglaise du site est en cours, mais d’ici là, vous trouverez plus d’infos sur ce flyer.
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