Crise hôtelière à Belém : spéculations, menaces et préjugés

Bom dia! Je suis Hugo et j'ai créé cette newsletter pour vous emmener comprendre l’Amazonie avec les gens qui y vivent. Dans cette édition, nous parlerons du sujet qui occupent tous ceux qui vont participer à la COP au mois de novembre.

Station Amazonie
5 min ⋅ 16/07/2025

Cette newsletter existe parce que j’y dédie du temps et des moyens financiers. Si vous le souhaitez, vous pouvez contribuer. Soit en vous abonnant ou en faisant une contribution ponctuelle. Cliquez ICI pour choisir votre contribution !

Dans le dernier épisode (il y a quinze jours), je vous parlais d’urbanisme antique en Amazonie. Cette semaine, on reste dans la même thématique mais avec un angle plus prosaïque : le logement pendant la COP. 

Dans moins de 4 mois, Belém recevra entre 40 et 60.000 personnes, selon les prévisions actuelles. 

Délégations officielles, institutions internationales, organisations de la société civile, entreprises et lobby du monde entier vont venir participer au grand raout climatique annuel. 

70.000 personnes ont été accréditées à la COP de Baku (Azerbaïdjan) en 2024 et… 100.000 à la COP de Dubaï (Émirats-Arabes-Unis) en 2023. 

La COP de Belém sera donc bien loin de battre des records de fréquentation. 

Et pourtant, le sujet qui préoccupe en ce moment tous les futurs participants, c’est le logement. 

Un motel (hôtel loué à l'heure) transformé en hôtel pour la COP. (c) archives personnelles. Un motel (hôtel loué à l'heure) transformé en hôtel pour la COP. (c) archives personnelles.

Certains prix annoncés ont fait les gros titres : plusieurs milliers de dollars pour une chambre d’hôtel éloignée, des maisons proposées à la location au prix de vente etc. 

Indignés par les devis reçus, des délégations ont commencé à taper du poing sur la table. 

Dans les coulisses de la pré-COP, qui a traditionnellement lieu à Bonn (Allemagne) au mois de juin, les oreilles des autorités brésiliennes ont sifflé.  

Face à cette levée de bouclier et face aux menaces de transfert dans un autre pays, le président de la COP30, André Corrêa do Lago, a réaffirmé diplomatiquement que l’événement aurait lieu à Belém mais que “quelques situations devaient être résolus”. 

De fait, Belém, ce n’est pas Dubaï et même si la ville reçoit des investissements massifs, les hôtels vont manquer. Mécaniquement, lorsque l’offre est supérieure à la demande, les prix s’envolent. 

Belém n’a pas été choisi pour sa capacité hôtelière. Comme l’expliquait déjà en 2023 le Président Lula : 

“C’est une chose de parler d’Amazonie en Égypte, à Berlin ou à Paris. Cette fois, nous allons parler de l’Amazonie en Amazonie” 

Au-delà de la symbolique, l’objectif des autorités brésiliennes est de confronter les décideurs du monde entier à la réalité de l’Amazonie telle qu’elle est. 

Belém incarne un territoire beaucoup plus riche et complexe qu’on ne le pense. (Je racontais dans cet article comment l’Amazonie a été inventée par les occidentaux). 

L’Amazonie, ce ne sont pas que des arbres, des crocodiles et des jaguars. Ce sont aussi 29 millions de personnes (pour le Brésil), dont 70% habitent en ville. 

Belém est un laboratoire à ciel ouvert de la mondialisation et de la cohabitation des humains et de la nature. (j’en parlais dans cet article)

80% de la population n’a pas accès au tout-à-l’égout et plus de la moitié de la population vit dans des zones précaires (apparentées à des favelas) et inondables (Source : IBGE, l’INSEE brésilien). 

En 2050, la ville sera la deuxième ville la plus chaude du monde, devant Dubaï, d’après une étude du Washington Post. 

Réunir les décideurs du monde entier à Belém pour parler d’atténuation et de préparation face au changement climatique, c’est ancrer le débat dans le réel.   

Ceci étant dit, 2000 euros la nuit pour un hôtel 2 étoiles, c’est cher payé. 

Car la spéculation est généralisée et ne concerne pas que les suites présidentielles. À tel point que les délégations de certains pays (notamment africains) revoient à la baisse le nombre de participants à leurs délégations. 

Travaux en centre-ville dans l'un des points névralgiques de la Conférence (c) Agencia BrasilTravaux en centre-ville dans l'un des points névralgiques de la Conférence (c) Agencia Brasil

Et là, on touche un problème de fond : la COP30 de Belém se veut historique parce qu’inclusive. Pour cela, tous doivent pouvoir participer aux discussions. Et dans de bonnes conditions : on ne négocie pas de la même manière selon qu’on dort dans un dortoir ou dans une chambre individuelle. 

Comme l’écrit Lucas Nassar, urbaniste de Belém, dans une tribune récemment publiée sur le site Amazônia Vox, “si le logement continue à être inaccessible, il sera impossible de garantir la diversité, l’inclusion et la rigueur technique qui font de la COP un processus crédible, et le monde a besoin que la COP de Belém soit crédible.”

Sur certains points, la situation actuelle à Belém rappelle celle de Paris avant les JO. 

Comme à Paris, une bulle spéculative fait gonfler les prix sur les plateformes de locations et de réservations d’hôtels. 

Une bulle finit toujours par éclater : ça a été le cas à Paris, un peu avant les JO. Les prix ont augmenté mais n’ont pas atteint les sommets annoncés. 

L’organisation d’un événement mondial est politiquement complexe : à Paris, l’articulation entre l’État (M. Macron), la région (Mme Pécresse) et la ville (Mme Hidalgo) n’a pas toujours été facile. Il en est de même à Belém. 

Surtout avec la proximité des prochaines élections locales (États) et nationales (Présidence et congrès) qui auront lieu en octobre 2026. 

Le gouvernement fédéral s’est engagé à lancer une plateforme avec des offres de logement à prix juste cette semaine. Le gouvernement du Para (l’État dont Belém est la capitale) négocie des chambres à prix abordables pour les délégations des pays moins fortunés. 

Des bateaux de croisière vont être acheminés, des écoles et des logements sociaux transformés temporairement en dortoir. Bref, une logistique est en train de s’enclencher pour résoudre la situation. 

2 navires de croisières seront accostés à Belém pendant la COP, avec une capacité de plus de 4500 lits. (c) Gilmar Nazaré (image d'archive)  2 navires de croisières seront accostés à Belém pendant la COP, avec une capacité de plus de 4500 lits. (c) Gilmar Nazaré (image d'archive)

Si l’on en croit les autorités brésiliennes, tout le monde n’aura pas de chambre 4 étoiles mais tout le monde pourra se loger. 

Ce problème doit être résolu et il le sera certainement pour une raison simple : la situation est tendue et les menaces de déplacer l'événement affluent de tous côtés. 

Le coût politique de ne rien faire est beaucoup trop élevé. La COP de Belém serait décrédibilisée si certains ne participaient pas pour des raisons financières. Sans parler de l’affront national que serait un déplacement de la conférence. 

Et comme lors des JO à Paris, quand un événement de cette envergure commence, les polémiques logistiques sont rapidement oubliées. 

Un des nombreux chantiers de la ville (c) Dany NevesUn des nombreux chantiers de la ville (c) Dany Neves

C’est ce qui s’est passé lors de la COP de Glasgow en 2021 : les prix des logements ont augmenté de 400% et certains participants se sont même retrouvés à devoir camper dans la rue. 

Pourtant, cette situation n’a pas empêché les négociateurs de faire avancer la cause de la lutte contre le changement climatique. 

Au contraire de Dubaï, en 2023, où l’abondance des hôtels cinq étoiles à bon marché n’a pas permis de signer d’accord ambitieux. 

Ce qui m’amène à aborder cette polémique sous un autre angle : son traitement médiatique. 

“Au lieu de promouvoir un débat équilibré entre les défis logistiques inhérents à la première édition de la conférence en Amazonie, beaucoup de reportages renforcent les stéréotypes négatifs, dépeignant Belém comme incapable, en retard et chaotique”

Cette analyse est celle du journaliste Ismaël Machado, dans un article publié sur le site d’information Amazonia Real en juin. Il relève en outre la chose suivante :  

“Certains articles traitent Belém comme “un lieu exotique”, au lieu d’une métropole de 1,5 millions d’habitants, avec des universités et ces centres de recherches respectés. La revue Veja a décrit “la forêt autour” comme un obstacle et non comme un atout. Un commentateur de Globo (la principale chaîne de TV brésilienne) s’est même demandé si les délégués internationaux supporteront la chaleur et les moustiques. Comme si Belém était une jungle inhospitalière et non une ville préparée pour recevoir les touristes et les événements internationaux.”

Le campus de l'Université fédérale du Para, un centre de recherche de pointe et l'une des plus grandes universités du Brésil (c) UFPALe campus de l'Université fédérale du Para, un centre de recherche de pointe et l'une des plus grandes universités du Brésil (c) UFPA

Il avance une explication, largement partagée par la population locale : cette vision stéréotypée des médias du Sud-Est du pays (où se trouvent le centre économique, Sao Paulo) ne fait que renforcer les inégalités entre le Nord (l’Amazonie) et le Sud. 

En 2009, Belém a déjà accueilli, avec succès, le Forum Social Mondial et ses 133.000 participants. 

Tous les ans, lors du deuxième dimanche d’octobre, ce sont 2 millions de personnes qui participent au Cirio, une procession religieuse populaire qui a lieu depuis 1793, dans le centre de Belém. 

Il y a un défi logistique majeur. Mais il y a aussi l’hospitalité légendaire des habitants de la ville. Et la fierté d’une population longtemps marginalisée de pouvoir prendre part aux discussions sur la marche du monde. 

Cette newsletter existe parce que j’y dédie du temps et des moyens financiers. Si vous le souhaitez, vous pouvez contribuer. Soit en vous abonnant ou en faisant une contribution ponctuelle. Cliquez ICI pour choisir votre contribution !

Station Amazonie

Par Hugo Kloëckner

La première fois que je suis allé en Amazonie, je rêvais d’aventure. J’avais été biberonné au Marsupilami et aux documentaires. Je suis tombé de haut.

Cette chute, je l’ai tant aimée, que je suis resté en Amazonie. Je suis basé à Belém depuis cinq ans. Station Amazonie est le prolongement de ce projet de vie.

Diplômé d’HEC, passé par le conseil et le monde de l’entreprise, je suis aujourd’hui indépendant et travaille comme consultant et interprète.


Les derniers articles publiés