Bom dia! Je suis Hugo et j'ai créé cette newsletter pour vous emmener comprendre l’Amazonie avec les gens qui y vivent. Dans cette édition, nous parlerons de ce que les amazoniens mettent dans leurs assiettes.
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Tacaca, maniçoba et canard au tucupi. Ces trois plats ne vous évoquent peut-être rien, mais ici, en Amazonie paraense (l’État brésilien dont Belém est la capitale), ce sont trois icônes de la gastronomie régionale. Au même titre que la soupe à l’oignon, le cassoulet et le magret de canard en France.
À la fin du reportage, ne loupez pas la recô amazônique. Aujourd’hui, forcément, c’est une recette.
Ces plats sont cuisinés par les populations autochtones depuis des centaines d’années, voire des millénaires. Les premières mentions écrites de la maniçoba remontent au 16ème siècle, dans les récits de voyageurs.
L'historienne Sidiana Macêdo à l'occasion d'une interview pour la télé globo (c) globo
Sidiana Macêdo est historienne et professeure à l’Université Fédérale du Para (UFPA). Avec sa thèse intitulée “La cuisine métisse, histoire de l’alimentation à Belém”, elle a été une des premières à faire de l’alimentation en Amazonie un sujet d’étude en soi.
Elle est aussi la créatrice du compte Instagram Daquilo que se come (qui peut se traduire par “ce que l’on mange”) où elle vulgarise l’histoire de l’alimentation amazonienne auprès de ses 20.000 followers.
Dis moi ce que tu manges, je te dirai qui tu es
Le philosophe Brillat-Savarin (qui donnera son nom à un fromage, la classe), publie cet aphorisme en 1825 dans sa Physiologie du goût, ou méditations de gastronomie transcendante.
Impossible de comprendre l’Amazonie et donc les amazoniens sans aller voir (et goûter pour les plus chanceux) ce qu’ils mangent.
Mais avant cela, je pense qu’il est important de situer brièvement (et très partiellement) pour des palais français les trois plats mentionnés au début de l’article.
Le tacaca est le quatre heure amazonien. Servi à partir de 17h dans la rue, c’est une espèce de soupe à base de tucupi (le bouillon de manioc), de gomme de tapioca, de jambu (une espèce d’épinard) et de crevettes séchées. La recette et l’histoire détaillée de ce plat sont disponibles dans la reco amazônique de la semaine, à la fin de cet article.
Le tacaca, fait et photographié par Dany Neves
La maniçoba ressemble vaguement à un cassoulet, sauf que les haricots sont remplacés par de la maniva. C’est un plat de viandes fumées (porc et boeuf) cuites dans une sauce verte faite de maniva, la feuille du manioc. Le plat doit cuire pendant 7 jours pour neutraliser la partie vénéneuse de la maniva. Sûrement un record mondial. (Et un de mes plats préférés).
Le canard au tucupi est un plat de fête : c’est une poule-au-pot, sauf qu’à la place de la poule c’est un canard et dans le pot, à la place du bouillon, il y a du tucupi.
Le tucupi, la farine, la gomme : ces produits dérivés du manioc font partie de la base de la culture alimentaire amazonienne.
L’historienne de l’alimentation m’explique que le manioc a été domestiqué il y a 10000 ans et que jusqu’à aujourd’hui, il constitue l’ingrédient principal de l’alimentation régionale.
Femme du peuple Tukano préparant de la farine de Manioc près du Rio Negro. (c) Paulo Cortes
Les poissons aussi (d’eau douce) sont très présents, les crevettes, et l’aviu qui est une mini-crevette. Et bien sûr, l’açai (une baie dont est extraite une purée violette). Dans beaucoup d’endroit, c’est d’ailleurs le plat principal. Vous pouvez ne pas manger de riz, d’haricots, mais l’açai sera présent à table.
La fameuse maniçoba, un incontournable de la gastronomie amazonienne (c) Consultório da Fama Assessoria
La cuisine amazonienne a été influencée par les colons portugais (l’ail est omniprésent) mais aussi par les populations africaines.
Comme l’historien français Serge Gruzinski le décrit bien, on parle beaucoup des relations d’échange, entre l’Europe et l’Amérique de manière unilatérale. Pendant longtemps on a parlé des apports européens en Amazonie. Mais les échanges ont fonctionné dans les deux sens.
La chercheuse me précise :
Tout ce qui a été découvert ici a été emmené en Europe, comme le cacao, le tabac, mais pas seulement, en Afrique aussi, comme le manioc. De la même manière que le riz, le quiabo, le dendê viennent d’Afrique et occupent aujourd’hui encore une place de choix dans la cuisine brésilienne et amazonienne.
Population africaine esclavagisée préparant le manioc au Brésil (c) BNF (1780)
Ainsi, pour répondre à l’aphorisme de Brillat-Savarin, on peut dire, comme le fait l’historienne, que :
Ce sont ces échanges, indigènes, portugais et africains qui ont formé la cuisine amazonienne contemporaine.
De la cuisine à la gastronomie : un chemin semé d’embûches
C’est une cuisine très caractéristique mais qui ne commence à être conçue comme une cuisine locale et identitaire qu’à partir des années 80.
Il faut bien avoir conscience que jusqu’à la deuxième moitié du 20ème siècle, le Paraense n’a pas idée de l’importance de sa cuisine. Il ne parle pas de sa cuisine. Ce qu’on appelle aujourd’hui la gastronomie paraense, c’était la cuisine du pauvre.
Sidonia Macêdo me donne des exemples :
Le pirarucu, qui est devenu un poisson très apprécié, au 19ème siècle, c’était un poisson consommé dans les prisons.
La maniçoba ne commence à être mentionnée dans les journaux qu’à partir des années 80. Elle existe, elle est largement consommée. Mais on n’en parle pas.
Le pirarucu pèse jusqu'à 220 kg (c) Ricardo Oliveira
Seul ce qui venait de l’extérieur était digne d’intérêt : la gastronomie, c’était la cuisine française.
Au 19ème et au 20ème siècle, les gens sortaient pour manger dans des restaurants français. Bien sûr c’était une gastronomie française adaptée, avec les ingrédients locaux. Notamment les poissons. Cette valorisation des gastronomies européennes est un des héritages de la colonisation.
La spécialiste de l’alimentation amazonienne ajoute :
Je pense qu’avec le processus de la colonisation, il y a beaucoup de plats qui ont disparu et qu’on ne connaîtra jamais. Des peuples ont perdu leurs langues. Avec elles, une partie de leurs cuisines s’est aussi perdue.
C’est à partir des années 80 et notamment avec le Chef Paulo Martins (décédé en 2010) que la cuisine paraense va faire son entrée dans le monde feutré de la gastronomie. Dans son restaurant La em casa (là à la maison) il promouvait les ingrédients amazoniens. Il a contribué à faire entrer le tucupi et le jambu dans les cuisines des grands chefs du Brésil et du monde.
C’est aussi à partir de ces années là que l’historienne commence à relever des mentions à la maniçoba dans la presse régionale.
Depuis 2015, Belém est reconnue comme ville créative de la gastronomie par l’ONU. La cuisine régionale est valorisée et largement consommée dans les restaurants de la ville.
Régulièrement, le tucupi est mis en valeur dans des émissions culinaires comme Masterchef.
L’Amazonie est à la mode et sa gastronomie aussi. Avec quelques risques.
Aujourd’hui c’est une cuisine un peu homogénéisé que beaucoup de restaurants vendent. Une chose qui correspond à ce que les gens attendent de l’Amazonie. Alors que la cuisine amazonienne est beaucoup plus riche que ça.
Elle me donne un exemple :
Si vous allez sur l’île du Marajo (la plus grande île fluviale du monde, à 1h30 de bateau de Belém, ndlr), ils vont vous dire que leur plat typique c’est pas la maniçoba mais c’est le frito do vaqueiro, la viande confite du garçon vacher. À Ourem, au Nord-Est de l’État du Para, ils vont vous parler de leur porridge de umbu-caja (un fruit qui rappelle la pêche, ndlr).
Le frito do vaqueiro est fait à base de viande de buffle, cuite dans dans sa propre graisse (c) Octavio Cardoso
Et justement, c’est pour défendre cette diversité que Sidania Macêdo porte à bouts de bras un projet qui devrait combler une lacune dans la capitale de la gastronomie paraense.
L’historienne va lancer au mois de juillet un musée (en ligne pour le moment, en attendant des fonds) dédié à l’histoire de l’alimentation et de la gastronomie paraense.
Le musée va s’appeler Mangút, un mot qui vient du borun, la langue du peuple Krenak et qui signifie… manger.
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Impossible de parler cuisine sans rentrer dans les travaux pratiques. J’ai donc demandé à la personne la mieux placée pour nous donner sa recette du tacaca : ma compagne, Dany Neves. En plus d’être une photographe de talent (vous retrouvez régulièrement ses photos dans mes articles) Dany est une grande amatrice de tacaca et une excellente tacacazeira (la personne qui fait le tacaca).
Voici donc un bref historique du tacaca, suivi de sa recette.
Le Tacacá, bouillon d’origine indigène, typique de l’Amazonie brésilienne
Le tacacá est un des plats typiques les plus consommés en Amazonie brésilienne. Il serait un dérivé d’une soupe indigène qui s’appelait Mani Poí et dont la base était faite de gomme, une espèce de porridge transparent préparé avec de la gomme de manioc. Le tucupi (liquide jaune extrait du manioc “en colère”) était alors seulement un condiment, également utilisé pour améliorer la conservation du plat. De nos jours, les proportions de ces deux ingrédients sont inversées (et certains préfèrent même retirer complètement la gomme).
Toujours servi brûlant, en fin d’après-midi, dans le bouiboui du coin de la rue aussi bien que dans des restaurants de haute gastronomie, la saveur de ce bouillon varie d’une tacazeira à une autre, puisque les condiments choisis (alfavaca - herbe de la famille du basilic, coriandre, chicoré du Para etc.) varient autant que le goût du tucupi, qui a un niveau d’acidité assez variable, dépendant de la manière dont il est extrait.
Parce qu’il est présent dans le quotidien des peuples d’Amazonie depuis des siècles, il est rare de rencontrer quelqu’un qui n’aime pas ce plat. Mais, du fait de la particularité des ingrédients et des sensations uniques qu’ils provoquent (comme le petit tremblement que provoquent les feuilles de jambu quand on les mâche), il est très courant que les étrangers soient surpris par elles.
Vous pouvez me faire confiance, tous les français (ou presque) pour qui j’en ai fait ont adoré !
Ingrédients
- 2 litres de tucupi pré-cuit (tucupi de la marque Manioca disponible sur le site de Madame Brésil);
- 4 feuilles de chicoré du Pará (bon courage pour en trouver. Sinon, vous pouvez remplacer par de la coriandre);
- 4 gousses d’ail ;
- 2 petit piments verts (piments vert paraense pas piquant, impossible à trouver, vous pouvez le remplacer par un piment vert qui ne pique pas beaucoup) ;
- sel ;
- 600ml d’eau filtrée ;
- 4 cuillères à soupe pleine de gomme de tapioca (disponible dans toutes les épiceries brésiliennes et chez Madame Brésil) ;
- 3 bouquets de jambu (bon courage mais pas impossible, mon frère en a trouvé dans un supermarché asiatique) ;
- 500g de crevettes séchées dessalées (ou alors des crevettes normales).
Préparation du Tacacá :
Tucupi
Dans une casserole, verser le tucupi, les gousses d’ail, les feuilles de chicoré et les petits piments verts coupés dans le sens de la longueur. Porter à ébullition et laisser bouillir à feu doux pendant environ 15 minutes, retirer du feu et réserver.
Jambu
Remplir une autre casserole d’eau, porter à ébullition, ajouter une cuillère de sel et y mettre les feuilles de jambu lavées et triées (sans les grandes tiges). Laisser cuire les feuilles, égoutter et réserver.
Gomme
Écraser une gousse d’ail, mettre dans une casserole sur le feu avec 300 ml d’eau. Dans un autre récipient, dissoudre les 4 cuillères à soupe de gomme dans 300 ml d’eau froide avec une cuillère de sel, bien mélanger et lorsque l’eau de la casserole bout, verser lentement l’eau froide mélangée avec la gomme, tout en remuant. Remuer jusqu’à ce que le mélange s'épaississe et devienne transparent. Éteindre le feu, couvrir la casserole et réserver.
Service :
Dans une cuia (calebasse), commencer par ajouter une louche bien remplie de tucupi, pour servir de base et empêcher la gomme de coller au fond. Ensuite, une louche à ras de gomme, une poignée de feuilles de jambu cuites et quelques crevettes séchées. Ajouter une autre louche de tucupi (jusqu’à remplir la cuia) et servir bien chaud. Il est possible de rajouter une sauce pimentée au moment de servir, pour ceux qui aiment les plats plus épicés.
NB : n’oubliez pas de nous envoyer une photo de vos réalisations :)
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