Bom dia! Je suis Hugo et j'ai créé cette newsletter pour vous emmener comprendre l’Amazonie avec les gens qui y vivent. Dans cette édition, je vous parle d'empereur, de bluff et d'indépendance.
Cette newsletter existe parce que j’y dédie du temps et des moyens financiers. Si vous le souhaitez, vous pouvez contribuer. Soit en vous abonnant ou en faisant une contribution ponctuelle. Cliquez ICI pour choisir votre contribution !
Le 15 août est aussi un jour férié à Belém. Mais ici, ce n’est pas l’Assomption qu’on commémore.
Il y a 202 ans, le 15 août 1823, l’État du Grão-Pará adhérait officiellement à l’indépendance du Brésil.
Le Grão-Pará était à l’époque un vaste État qui regroupait la majorité de l’Amazonie brésilienne (le Pará, l’Amazonas, l’Amapá, le Roraima) et une partie du Maranhão, du Ceará et du Piauí.
La région est la dernière à adhérer à l’indépendance et elle le fait uniquement parce qu’elle y est forcée.
Pour mieux le comprendre, deux éléments de contexte sont importants.
L’indépendance est une histoire de famille
D’abord, quand le Brésil déclare son indépendance le 7 septembre 1822, c’est en fait Dom Pedro, le Prince Régent du Brésil et fils du roi du Portugal, qui est au commande.
Il coupe le cordon avec son père et se déclare (unilatéralement) empereur du Brésil.
L’historienne Lilia Schwartz considère que cette déclaration fait partie d’une stratégie pour consolider une identité nationale centrée sur le Sud-Est et en particulier Sao Paulo.
Dom Pedro I, peinture de Simplício Rodrigues de Sá - Museu Imperial de Petrópolis
Dans son livre Le Séquestre de l’Indépendance - une histoire de la construction du mythe du 7 septembre, elle développe l’idée que ce moment historique marginalise les autres régions.
Il était plus facile d’aller à Lisbonne qu’à Rio
L’Amazonie est restée longtemps proche de la couronne portugaise.
L’accès en bateau depuis Belém était souvent plus rapide vers l’Europe que vers le Sud du pays.
À cause de la navigation côtière plus difficile et des nombreuses escales, aller à Rio depuis Belém pouvait prendre plus de temps que de traverser l’Atlantique en direction de l’Europe (les bateaux à voiles bénéficient notamment des vents favorables).
C’est donc (en partie) la logistique qui explique le contrôle politique, administratif et économique avec le Portugal, qui considérait le Grao-Para comme une extension ultramarine de son royaume.
Il ne faut jamais perdre de vue que le Brésil est un pays continent : la distance qui sépare Belém de Sao Paulo est la même qui sépare Paris de Moscou (2800 km).
Un coup de Bluff
C’est un coup de bluff qui a poussé à l’adhésion du Grão-Pará : l’Empereur du Brésil a envoyé un général (anglais) pour ordonner aux autorités de signer l’acte d’adhésion à l’indépendance. Sinon la ville serait bombardée par une flotte stationnée à quelques kilomètres de là.
En vrai, il n’y avait pas de flotte mais la menace a porté ses fruits et le Grão-Pará est devenu le dernier État du Brésil à se rattacher à l’indépendance.
Habitat typique de la population rurale de la Province du Grao Para, croquis de M. Biard, 1862
Dalcídio de Jurandir (1909-1979), un des plus grands écrivains paraenses (l’équivalent amazonien de Zola) résume ce processus par ces mots :
“L’indépendance est parvenue au peuple du Pará comme une imposition venue de l’extérieur, et non comme une conquête propre. Cependant, elle a scellé notre destin commun avec le Brésil, même au prix du sang versé.”
Sur le drapeau brésilien, l’étoile isolée au-dessus du bandeau “ordem e progresso” (une citation du philosophe positiviste français Auguste Comte), c’est celle du Grão-Pará.
Petit dernier et grand isolé, jusqu'à aujourd’hui.
Un enclavement et une domination qui persiste
Violetta Refkalevski est une sociologue de l’Université Fédérale du Para (UFPA) et une des penseuses majeures de la région. Dans son ouvrage, l’Amazonie, colonie du Brésil (2022, Valer, non traduit) elle écrit :
“l’histoire de la région est, depuis l’arrivée des premiers européens en Amazonie jusqu’à aujourd’hui, faite de pertes et de dommages. Elle est, et c’est paradoxal, victime de ce qu’elle a de plus spécial - sa magie, son exubérance et sa richesse”
La chercheuse résume l’histoire économique de la région en trois phases.
“L’Amazonie, qui, depuis la période coloniale, a vu son économie et son organisation sociale dessinées par le modèle d’exportateur de matières premières, a tenté, par trois fois, de diversifier son économie et trois fois elle a été victime des actions du gouvernement fédéral, qui l’ont empêché de prendre cette direction.
La première fois a eu lieu pendant le boom du caoutchouc, quand le gouvernement fédéral a coupé les emprunts bancaires et découragé les entreprises industrielles qui existaient déjà dans la région (et qui produisaient des bottes et des articles à bases de caoutchouc, ndlr), pour que toute l’économie se tourne vers la production de boules de caoutchouc (transformées en dehors d’Amazonie, ndlr). Les industries ont fait faillite.
La deuxième fois a eu lieu quand Juscelino Kubistchek (Président brésilien connu pour avoir lancé la construction de Brasilia, ndlr) a ouvert la route Belém-Brasilia (dans les années 50, ndlr), sans aucun plan de réorganisation de l’économie industrielle régionale, sans mécanisme compensatoire ; de nouveau, les industries ont fait faillite (face à la concurrence direct des industries du Sud-Est, ndlr).”
La sociologue considère que l’exploitation des ressources en bois, associée au développement de l’agro-industrie, l’exploitation des minerais et la construction de barrages hydroélectriques, depuis les années 60, constituent la troisième phase de l’évolution économique de l’Amazonie.
Barrage de Pimental, sur le fleuve Xingu, (c) André Villas-Bôas/ISA
Le développement d’une économie basée sur l’extraction de matières premières (bois, minerais, viande, soja) et la production d’électricité a été encouragé par une politique fiscale volontariste de l’État fédéral.
L’objectif : devenir compétitif à l’international (et attirer les capitaux étrangers) et fournir matière première et électricité aux industries du Sud-Est.
Ce modèle de développement limite la marge de manoeuvre des pouvoirs publics
Aujourd’hui 85% des exportations du Pará sont constituées de minerais (aluminium, cuivre et fer, source : FAPESPA 2020).
Et pourtant, la loi fédérale Kandir, votée en 1996, exonère de taxes les exportations de matières premières. Cette loi a été votée pour améliorer la compétitivité du Brésil.
Dans la pratique, cela signifie que le minerai extrait en Amazonie ne génère presque pas de recettes fiscales pour les gouvernements de l’Amazonie.
Aujourd’hui 13% de l’énergie du Brésil est produite par l’État du Para (source : FAPESPA 2020).
Et pourtant la facture individuelle d’électricité dans le Pará est l’une des plus élevées du pays.
En cause, de longues distances de transmission et des investissements structurels lourds qui pèsent sur les coûts fixes. Qui sont facturés au consommateur final.
La COP30, l’opportunité d’une nouvelle ère économique ?
Depuis que j’ai commencé cette newsletter, je demande systématiquement à toutes les amazoniens et les amazoniennes que j’interviewe ce qu’ils souhaiteraient dire au monde, à la veille de la COP.
Le curupira, un des personnages clés de la mythologie amazonienne, et la mascotte de la COP30
Je répète l’exercice avec les personnes que je rencontre dans le cadre de mon travail de consultant.
Tous, sans exception, qu’ils soient entrepreneurs, agriculteurs, secrétaires d’État, chercheurs, directeurs financiers ou activistes, de gauche ou de droite, des plus modestes aux plus riches, ils commencent tous par me dire la même chose.
Il faut prendre le temps d’écouter l’Amazonie et les gens qui y vivent. On ne sauvera pas l’Amazonie malgré elle.
Chacun a une perspective, un diagnostic et des solutions différentes. Mais tous s’accordent sur la nécessité de rendre aux amazoniens le pouvoir de décider de leur destinée.
Cela fait écho à la déclaration du Pape François lors du synode de l’Amazonie qu’il avait organisé en 2019 : “nous devons nous approcher des peuples d’Amazonie sur la pointe des pieds, en respectant leur histoire, leurs cultures et leurs manières de vivre”. (j’en parlais dans cet article).
À ce titre, la COP30 peut être un moment important. Pour les gens d’ici mais aussi, et surtout, pour le reste du monde.
Ce qui se joue ici, ce n’est pas seulement l’avenir d’une forêt. Les amazoniens peuvent nous aider à repenser notre rapport à la nature, et aux autres.
Cette newsletter existe parce que j’y dédie du temps et des moyens financiers. Si vous le souhaitez, vous pouvez contribuer. Soit en vous abonnant ou en faisant une contribution ponctuelle. Cliquez ICI pour choisir votre contribution !