Bom dia! Je suis Hugo et j'ai créé cette newsletter pour vous emmener comprendre l’Amazonie avec les gens qui y vivent. Dans cette édition, je vous parle de bean-to-bar, d'agroforesterie et de circuit (très) court.
Cette semaine, on continue sur l’île du Combu. Cette fois-ci, sans les présidents, et avec Dona Nena, l’entrepreneuse qui les a reçus et qui produit un chocolat d’exception.
Contexte :
Le cacao vient d’Amazonie et non d’Amérique centrale. Il a été domestiqué il y a des milliers d’années
L’île du Combu est un terroir : le cacao qui y pousse est spécifique à cette île et sa transformation en chocolat une pratique ancienne
La chocolaterie Filha do Combu pousse le concept du bean-to-bar à son extrême : le chocolat est 100% fait sur place et 80% est également vendu sur place.
À la fin du reportage, ne loupez pas la recô amazônique.
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“On a juste planté quelques manguiers, mais la grande majorité des cacaoyers étaient déjà là. Ils ont été plantés il y a très longtemps par nos ancêtres”.
Dona Nena, devant sa plantation de cacaoyer, inondés par la marée de la pleine lune (c) Dany Neves pour Station Amazonie
Izete dos Santos Costa, ou dona Nena, comme on l’appelle ici, est chocolatière. Elle vit et travaille sur l’île du Combu, à 20 minutes en bateau de Belém. L’année dernière elle a accueilli deux présidents de la république.
Un an après cette visite (que je racontais la semaine dernière), je suis retourné la voir pour qu’elle me parle de son entreprise : a filha do Combu (la fille du Combu).
Un chocolat de terroir : cacao du Combu et savoir ribeirinho
Pendant longtemps, on cru que le cacao avait été domestiqué il y a 3000 ans, en Amérique centrale.
Sauf qu’une fouille archéologique effectuée en 2013 est venue bouleverser ces certitudes : la fève qui donne le chocolat avait déjà commencé à être domestiquée au moins 1500 ans avant, en Amazonie équatorienne.
Avant de voir sa culture se diffuser dans l’ensemble du bassin de l’Amazone. (Pour bouleverser encore plus de certitudes, j’explique dans cet article que l’Amazonie est façonné par les humains depuis des millénaires).
Le cacaoyer de l’île du Combu est devenu une espèce spécifique à la micro région. Son fruit est par exemple bien plus petit que celui qu’on récolte dans l’État de la Bahia, dans le Nord-Est du pays. Le chocolat produit aussi est différent. Comme pour le vin, le terroir est déterminant.
Le cacao doit être cueilli quand il jaunit (c) Dany Neves pour Station Amazonie
Le terroir c’est à la fois un espace biologique défini, ici l’île du Combu, et aussi un savoir et des pratiques qui interagissent avec cet espace.
Dona Nena est une femme ribeirinha. Littéralement les gens de la rive, les ribeirinhos désignent les populations qui vivent au bord de l’eau, dans des maisons sur pilotis.
être ribeirinho, c’est habiter ici, au bord du fleuve, pêcher des poissons, attraper des crevettes et aller collecter de l’açai pour s’alimenter. C’est aussi vendre ce qu’on ne mange pas pour avoir un peu de revenus.
Et aussi, faire du chocolat. Petite, l’entrepreneuse a appris à faire du chocolat maison avec un pilon en pierre. Ce chocolat rustique était fabriqué pour une consommation propre.
Bean-to-bar : tout est transformé sur place
La chocolatière est une des premières à commercialiser ce produit, sous la forme d’un bloc de chocolat 100%, emballé dans une feuille de bananier.
Le premier produit commercialisé par Dona Nena (c) Carlos Borges
On est en 2006 et le succès est au rendez-vous : mémoire affective pour les habitants de la région et souvenir pour les touristes de passage, elle écoule rapidement et régulièrement ses stocks.
La visibilité médiatique commence en 2011 et elle commence à structurer sa fabrique et à recevoir les gens sur place, dans sa chocolaterie, sur l’île du Combu.
En 2017, elle part faire une formation de chocolatière dans l’État du Rio Grande do Sul (un État du Sud, à la frontière avec l’Uruguay) pour apprendre à affiner et tempérer son chocolat.
Aujourd’hui le processus de production combine savoir-faire traditionnels et techniques modernes.
Une fois les fruits collectés, les fèves sont retirées des fruits et mises à fermenter pendant 6 jours. Elles sont ensuite triées une première fois, mises à sécher en serre avant de passer par un nouveau triage. Les fèves sont alors torréfiées. Ensuite, une machine va triturer les fèves pour séparer les nibs (éclats de fève de cacau) de leur enveloppe.
Commence alors l’étape de la fabrication du chocolat : les nibs sont mélangés à du sucre (30% de sucre pour du chocolat à 70% de cacao, 40% pour du chocolat à 60% de cacao etc.). Ils vont alors passer 4 jours dans un moulin en pierre.
Enfin, la chocolatière va réaliser le tempérage. Cette étape est cruciale pour obtenir un chocolat brillant et lisse, qui va croquer et fondre en bouche. Pour cela, il faut d’abord faire fondre la pâte obtenue lors de l’étape précédente, dans le moulin en pierre.
Une fois la fonte effectuée, arrive l’étape de la cristallisation, qui désigne en chimie le passage de l’état liquide à l’état solide. Dans le cas du chocolat, c’est le beurre de cacao qui fond et la cristallisation va permettre aux molécules du beurre de cacao, séparées, de se réorganiser. Et donner un aspect brillant et craquant au chocolat.
Et fondre de nouveau, mais dans la bouche des clients cette fois-ci.
Les plaquettes de chocolat de la chocolaterie (c) Filha do Combu
Les températures de fonte et de cristallisation dépendent à la fois du type de chocolat (noir, au lait ou blanc) et de cacao utilisé. Et bien entendu, du climat où le chocolat est fabriqué. Sur l’île du Combu, il fait légèrement plus chaud et plus humide que dans les montagnes suisses.
En 2019, elle lance, en plus de son traditionnel bloc de chocolat 100%, une ligne de plaquettes de chocolat, de 55 à 100% cacao. (Il y a aussi du chocolat à la fève tonka, la vanille d’Amazonie dont je parlais ici).
Au bout de près de 20 ans, Filha do Combu, sa marque, manipule 3 tonnes de cacao par an pour les transformer en chocolat 100%, plaquettes de chocolat, chocolat en poudre, éclats de fèves de cacau et autres bonbons… au chocolat.
Préserver la forêt et créer de la valeur ajoutée sur place : le défi de la bioéconomie
On n’a pas des volumes immenses, parce qu’ici tout est naturel : on ne fertilise pas, on laisse la nature faire son travail. Et tout le cacao qu’on utilise vient de ma plantation, de celles de ma famille et de mes voisins.
C’est la clé en bioéconomie : respecter les limites de la biosphère. La plantation de la chocolaterie Filha do Combu fonctionne en agroforesterie.
La plantation de Dona Nena (c) Dany Neves pour Station Amazonie
Vue de l’extérieure, elle ressemble plus à une forêt ou à un verger laissé en friche. Les cacaoyers se mélangent aux arbres fruitiers (araça - une petite goyave acide, cupuaçu - un cousin du cacao), aux palmiers (açai, pupunha - une espèce de châtaigne) et à d’autres espèces natives.
Deuxième clé : l’impact pour les populations locales.
16 personnes travaillent dans sa chocolaterie et la boutique installée sur place permet d’effectuer 80% des ventes.
La chaîne de valeur est contrôlée dans son intégralité par la communauté locale. La plus-value est créée sur place et les revenus engendrés ont permis d’améliorer la vie de Dona Nena et de la communauté.
La boutique, située à l'entrée de la fabrique, au milieu de la plantation (c) Dany Neves pour Station Amazonie
Avant, je travaillais en ville parce qu’en dehors de la période de la récolte de l’açai et du cacao, on n’avait pas de revenu. C’était difficile pour la communauté. C’est pour ça que j‘ai commencé à entreprendre, pour ne plus avoir à partir d’ici pour travailler en ville.
Un bel exemple de bioéconomie. Ce n’est pas pour rien que le président Lula a invité le président français à visiter son entreprise.
Dona Nena apparaît fréquemment dans le journal pour illustrer le potentiel de la bioéconomie pour la forêt et les populations traditionnelles. Elle est invitée dans des conférences, on la sollicite pour participer à des campagnes de communications.
Bref, elle est devenue une icône de la bioéconomie locale.
Ce succès a eu des conséquences inattendues. On en reparle en détail dans la prochaine édition.
La semaine prochaine : Dona Nena m’a révélé de quoi elle a parlé avec Lula. (Spoiler : un peu de chocolat et beaucoup de droit foncier et de services publics).
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En Amazonie, comme ailleurs, les humains mangent. Et dans l’État du Para, on aime particulièrement bien manger. La gastronomie paraense est sûrement un des secrets les mieux gardés du monde du fooding.
Elle est un mélange de cuisine indigène, africaine et portugaise. Nous en reparlerons vite.
Aujourd’hui, je mentionnerai juste le pot-au-feu amazonien, un plat qui doit cuire pendant 7 jours pour être prêt. Un délice à base de feuille de manioc et de viande séchée et fumée. Son nom : la maniçoba.
Comme le cassoulet, il est pas très ragoûtant et pourtant il épate les papilles. Une confort food qui fait saliver tous les paraenses.
Dont Aqno. Ce chanteur compositeur signe des musiques latino-pop amazoniennes. Et il y a quelques mois, il a lancé MANIÇOBA, un hit à la gloire du délice éponyme.
Le clip est à la hauteur du plat : une pépite.
PS : la cuisinière qui apparaît au début s’appelle Fafa et elle tient une baraque à maniçoba juste derrière chez moi. Une des meilleures de la ville. Les youtubers fooding de tout le Brésil viennent y faire la queue.
Je l’ai d’ailleurs rajouté à la playlist spotify Station Amazonie. Au menu : technobrega, carimbo (le rythme régional), brega (la mère de la technobrega), guitarrada (un type de lambada amazonienne) pop, rap… Il y en a pour tous les goûts! C’est laquelle votre préférée ?
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