Le silence de la forêt

Bom dia! Je suis Hugo et j'ai créé cette newsletter pour vous emmener comprendre l’Amazonie avec les gens qui y vivent. Dans cette édition, nous nous rendons dans la dernière forêt primaire de la région métropolitaine de Belém.

Station Amazonie
5 min ⋅ 21/05/2025

Aujourd’hui, nous partons dans un de mes endroits préférés : le parc du Gunma. Les 500 hectares de végétation qu’il renferme sont un havre de paix pour la biodiversité. Cette forêt primaire est encerclée par les plantations d’huile de palme et les zones urbaines. Danielson et Fernanda, deux biologistes, se sont mis en tête de la défendre.

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En fin d’après-midi, quand j’allais me baigner dans la rivière, j’entendais toujours chanter le tocro de Guyane. C’était tellement beau de l’entendre.

Le visage du biologiste Danielson Aleixo est traversé par un grand sourire quand il raconte ce souvenir d’enfance dans le Parc écologique Gunma (PEG), localisé à Santa-Barbara, dans la région métropolitaine de Belém.

Le tocro de Guyane est un oiseau qui ressemble vaguement à une poule, avec un plumage marron et roux, et qui vit en petit groupe sur la litière, cette couche de feuilles en décomposition qui couvre le sol des forêts tropicales. 

Danielson et Fernanda sont biologiste et guide d'observation dans le parc. (c) Raimundo Carvalho Danielson et Fernanda sont biologiste et guide d'observation dans le parc. (c) Raimundo Carvalho

Encerclé par des zones urbaines et des plantations d’huile de palme et d’açai, cette forêt de 540 hectares est un refuge pour la biodiversité. Le PEG est un des derniers morceaux de forêt primaire dans la région métropolitaine de la capitale de l’État du Pará.

Des données du Laboratoire d’ornithologie et de bioacoustique de l’Université Fédérale du Pará (Lobio, UFPA), relevées de 2007 à 2020, indiquent l’existence d’au moins 300 espèces d’oiseaux dans le parc.

À titre de comparaison, 965 espèces sont présentes dans le Pará, selon le site Wikiaves (une plateforme communautaire qui permet de recenser les espèces d’oiseaux) et près d’un tiers de ces espèces fréquente le PEG.

Les données du laboratoire de l’UFPA lèvent également le voile sur une réalité préoccupante et invisible à l'œil nu. Au minimum 11 espèces d’oiseaux ne sont plus vues ou de moins en moins entendues dans le PEG.

Le tocro de Guyane, par exemple, dont le chant accompagnait les promenades de Danielson dans la forêt, n’est plus ni vu ni entendu dans le parc depuis 2007. Cette espèce n’est pas menacée d’extinction nationale, comme le souligne l’Institut Chico Mendes de conservation de la biodiversité (ICMBio) et son chant peut être entendu dans d’autres forêts de l’État (comme la Forêt nationale de Carajás, entre autres).

Le tocro de Guyane (c) Raphael JordanLe tocro de Guyane (c) Raphael Jordan

Les relevés indiquent aussi qu’au moins trois espèces, en plus du tocro de Guyane, ne sont plus vues dans la forêt depuis plus de 20 ans : le troglodyte siffleur, le grallaire du Para et le grallaire roi.

Sept autres espèces sont de plus en plus rares, tant visuellement que auditivement : le caïque vautourin, la coquette de Gould, la cotinga à poitrine pourpre, la cotinga à queue blanche, le caïque à ventre blanc, l’amazone poudrée et le hocco tuberculé.

Ces signes sont révélateurs d’un déclin préoccupant de leurs populations. 


La situation du PEG est critique et complexe : bien qu'il s'agisse d'une propriété privée, l'association qui la gère est confrontée à des ressources limitées dans un contexte de croissance économique et urbaine rapide.

Comme il n’est pas reconnu officiellement comme une unité de conservation environnementale, le parc ne bénéficie ni d’une législation ni de politiques publiques spécifiques. 

La biologiste Maria Luisa da Silva, maître de conférence à l’Université Fédérale (UFPA) et créatrice du Lobio, souligne que ce phénomène est un des premiers signaux d’une menace qui pèse sur l’ensemble de l’Amazonie, mais qui est très peu abordée.

Certaines forêts paraissent être en bonne santé, avec des arbres verts et dressés, mais, en vérité, elles sont menacées et la vie sauvage est déjà en danger. 

Le silence est une indication très claire. Les arbres mettent du temps à mourir, mais la vie sauvage, et particulièrement les oiseaux, est déjà menacée


Selon la scientifique, la biodiversité sonore est fondamentale pour comprendre les écosystèmes.

Comme chaque oiseau a un chant qui lui est propre, je sais évaluer l’état de la biodiversité d’un endroit à partir de la diversité des sons produits

Silva est la première femme à intégrer la Société Internationale de Bioacoustique (IBAC), et travaille sur l’acoustique environnementale et la préservation de la biodiversité. 

En 2005, la scientifique a établi une annexe du Lobio à côté du Gunma, afin de faciliter l’accès à la forêt et optimiser ses recherches sur le terrain. Le laboratoire est demeuré actif jusqu’au début de la pandémie.

Les enregistrements ont alimenté le département des sons amazoniens des Archives sonores néotropicales, la plus grande bibliothèque sonore d’Amérique latine, crée par Jacques Vielliard et hébergée par l’Université de Campinas (Unicamp), près de Sao Paulo, dans le Sud-Est du Brésil. 

Durant cette période, Silva a observé une chute significative de la présence de diverses espèces dans le parc.

Lors de mes sorties sur le terrain, j’ai pu constater que de nombreuses espèces qui étaient autrefois abondantes et dont j’entendais souvent le chant, disparaissaient progressivement

Le couple de biologistes  Danielson et Fernanda Freitas, qui fréquentent quotidiennement le parc, sont aussi les témoins de ces changements.  

La coquette de Gould, une des étoiles du parc (c) Damilice MansurLa coquette de Gould, une des étoiles du parc (c) Damilice Mansur


Depuis janvier 2023, le couple est retourné s’installer en bordure du parc et a créé Para Birding Tour, une entreprise d’écotourisme dédiée à l’observation des oiseaux. Cependant, ils ont remarqué des changements inquiétants, notamment l’étalement urbain autour du parc qui contribue à la fuite de certaines espèces. 

Fernanda Freitas alerte :

Le parc est de plus en plus isolé, et risque de former une île isolée du reste de l’écosystème, ce qui peut mettre en péril sa biodiversité

La biologiste explique que la forêt est un écosystème dynamique et qui dépend de son intégrité pour préserver la faune. Les oiseaux jouent un rôle crucial pour disperser les graines et font partie de la chaîne alimentaire.

Quand la biodiversité décline, un phénomène de “forêt vide” peut se mettre en place : l’écosystème dépérit et devient silencieux. 

Ce qui se passe à Gunma n’est pas inhabituel.  Ce phénomène est déjà en cours dans la Mata Atlantica (le biome localisé dans le Sud-Est du Brésil) et dans le sud de l’État de l’Amazonas (en Amazonie, à l’Ouest du Pará) : le déclin de la biodiversité résulte dans une perte progressive de la faune et une diminution de la vie sonore.

Outre la déforestation à l’intérieur du Parc écologique Gunma (PEG), l’évaluation du niveau de conservation doit aussi prendre en compte l’impact des activités dans ses alentours.

La scientifique Maria Luisa Da Silva met en garde contre l'effet de lisière, qui se produit dans les zones adjacentes à la forêt.

Même sans intervention directe, la déforestation peut s’intensifier à mesure qu’à la lisière, de grands arbres tombent, formant des clairières qui viennent au long du temps réduire la surface forestière. 

Le parc fait face à une pression croissante, encerclé au Sud et à l’Est par la route PA-391 et par les zones d’habitation de Bom Jesus e Nova Santa Bárbara.

L’occupation de la lisière de la forêt a provoqué de la déforestation et des forêts secondaires ont été coupées pour faire place aux maisons.

Cette expansion urbaine a contribué à la diminution de la biodiversité, comme le montre l’extinction locale du tocro de Guyane, alors que Bom Jesus se développait au détriment de la forêt. 

Votre serviteur, en randonnée dans le parc (c) Dany NevesVotre serviteur, en randonnée dans le parc (c) Dany Neves

Le fleuve Araci délimite le parc au Nord, et le dernier couloir écologique, qui relie la forêt de Gunma au reste de l’écosystème, s’étend le long du Furo das Marinhas, le bras de fleuve qui sépare l’île voisine de Mosqueiro du continent.

Cependant, le parc risque lui de devenir une île terrestre, car l'entreprise MB Capital a commencé à construire un grand terminal logistique et industriel à proximité en 2021, avec le soutien du conseil municipal de Santa Bárbara. Le projet occupe une superficie de 220 000 mètres carrés.

Alors que la biodiversité reste invisible et ne fait pas l'objet d'une évaluation appropriée, des initiatives telles que celle de Danielson et Fernanda, axée sur l'observation des oiseaux, cherchent à transformer la perception locale du parc et à encourager le grand public à contempler la nature.

Dans un contexte plus large, le géographe et chercheur de l’Institut fédéral d’éducation, de science et de technologie du Pará (IFPA), Tiago Veloso, relève que l’isolement d’une unité de conservation peut porter préjudice à long terme à la faune et la flore puisque les espèces y sont restreintes et la reproduction interne devient insuffisante.

Entre 2019 et 2020, une étude menée par l'IFPA a analysé les unités de conservation dans la région métropolitaine de Belém, mais le PEG n'a pas été inclus en raison des restrictions liées à la pandémie.

Cependant, cette étude a conclu qu’une préservation efficace dépend de la planification des zones environnantes afin d'assurer des connexions écologiques entre les différentes unités.

Danielson et Fernanda sont convaincus qu'il est possible, grâce au tourisme, de changer la façon dont la population locale perçoit le parc et participer ainsi à sa préservation. Mais ce n'est pas un programme facile : comme l'explique Danielson :

le plus grand défi est de leur faire comprendre que les touristes viennent visiter le parc pour contempler la nature. La contemplation de la biodiversité est taboue pour beaucoup d'entre nous ici

Cet article a été réalisé avec le soutien du programme Les voix pour une action climatique juste (VAC), qui s'efforce d'amplifier l'action climatique locale et cherche à jouer un rôle central dans le débat mondial sur le climat. InfoAmazonia, qui a soutenu ce reportage, fait partie du groupe en faveur du « Renforcement de l'écosystème des données et l'innovation civique en Amazonie brésilienne ».

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Station Amazonie

Par Hugo Kloëckner

La première fois que je suis allé en Amazonie, je rêvais d’aventure. J’avais été biberonné au Marsupilami et aux documentaires. Je suis tombé de haut.

Cette chute, je l’ai tant aimée, que je suis resté en Amazonie. Je suis basé à Belém depuis cinq ans. Station Amazonie est le prolongement de ce projet de vie.

Diplômé d’HEC, passé par le conseil et le monde de l’entreprise, je suis aujourd’hui indépendant et travaille comme consultant et interprète.


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