To scale or not to scale : le dilemme de la bioéconomie

Bom dia! Je suis Hugo et j'ai créé cette newsletter pour vous emmener comprendre l’Amazonie avec les gens qui y vivent. Dans cette édition, je vous parle du prix de la tonne de cacao, de quinoa et de tout à l'égout.

Station Amazonie
5 min ⋅ 23/04/2025

Cette semaine, on est toujours sur l’île du Combu. Avec Dona Nena on va explorer l’impact du réchauffement climatique et de la mondialisation sur son activité.

Contexte :

  • Le prix du chocolat explose suite à la chute de la production du cacao : +14% en 2025

  • Les coupables : la sécheresse et les maladies. Conséquences du réchauffement climatique et de la monoculture.

  • Passer à l’échelle (“scaler”) peut avoir des conséquences négatives, comme pour le quinoa ou l’açai.

À la fin du reportage, ne loupez pas la recô amazônique.

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C’est le marronnier du mois d’avril : les articles sur le chocolat poussent comme des pissenlits. 

Sauf que nous sommes en 2025. Le réel cogne à la porte et, cette année, les titres ont une tonalité particulière. Pour cause : le prix du chocolat explose, +14% sur un an selon UFC-que-choisir. 

Sécheresse et maladies ont fortement touchées les plantations de cacao, entraînant une chute de la production mondiale de 700 mille tonnes. La raréfaction de la matière première a provoqué une hausse des prix. 

Sur l’île du Combu, à 20 minutes en bateau de Belém, la chocolaterie de Dona Nena, que je vous présentais la semaine dernière, ne fait pas exception. 

On commence seulement à récolter. Avec près de 4 mois de retard. Il n’a pas plu et le cacao a besoin de beaucoup d’eau. Les racines de l’arbre doivent être fréquemment couvertes d’eau. Comme maintenant.

Ce n'est que maintenant que le cacao commence à être prêt pour la collecte (c) Dany Neves pour Station AmazonieCe n'est que maintenant que le cacao commence à être prêt pour la collecte (c) Dany Neves pour Station Amazonie

Les conséquences du réchauffement sont rudes pour l’économie de l’île. En temps normal, il y a deux récoltes annuelles. En 2024, il n’y en a eu qu’une seule. Et encore : la récolte a été deux fois inférieure à l’année précédente. 

Face à la baisse de la pluie et l’augmentation des températures, la flore commence à s’adapter (je l’expliquais dans cet article). Dans le cas du cacaoyer, la stratégie de survie de l’arbre consiste à réduire la production de fruits. 

Dona Nena me donne un autre indicateur très concret du changement climatique. 

Je me souviens, quand j’ai eu mes filles, pour faire sécher leurs couches, je devais faire un feu de charbon. À la saison des pluies, il n’y avait pas assez de soleil. Aujourd’hui, en une heure, elles sont sèches.

Échelle vs. impact : les conséquences de la mondialisation alimentaire 

Le marché du cacao est déjà en train de se rééquilibrer : l’augmentation des prix attire des investissements qui vont permettre d’augmenter la production. 

Notamment au Ghana et en Côte d’Ivoire, les deux leaders mondiaux, responsable de 60% de la production. 

l’Organisation Internationale du Cacao (ICCO) prévoit ainsi un excédent pour 2025 après le déficit (offre inférieure à la demande) record de 2024. 

Une opportunité pour Dona Nena et le Combu. La demande est en hausse, l’histoire de sa marque est forte. 

Terrains à vendre, en face de la chocolaterie de Dona Nena, une opportunité ? (c) Dany Neves pour Station AmazonieTerrains à vendre, en face de la chocolaterie de Dona Nena, une opportunité ? (c) Dany Neves pour Station Amazonie

Augmenter sa production lui permettrait d’augmenter ses revenus et son impact. Tant sur l’environnement que sur la communauté. 

Sauf que ce n’est pas si simple. 

Je suis assez préoccupée par le passage à l’échelle (l’augmentation des volumes, ndlr). Au-delà de la difficulté à trouver une bonne matière première, j’ai peur de perdre en qualité lors du processus de production.

Filha do Combu est une marque de niche : du chocolat fait intégralement sur place à partir d’une matière première exclusive. De la haute couture chocolatée où l’on risque de perdre en qualité ce que l’on gagne en quantité. 

Et puis, un autre facteur préoccupe l’entrepreneuse. 

Le risque aussi, avec la hausse du prix de la matière première, c’est qu’on commence à déforester pour planter des cacaoyers. C’est ce qui s’est passé avec l’açai. 

L’açai est une baie qui est à la base de l’alimentation ribeirinha et amazonienne. Elle se consomme sous forme de purée en accompagnement du poisson, de la viande ou des crevettes séchées. 

La négociation des baies d'açai, sur le marché nocturne de Belém (c) Dany Neves pour Station AmazonieLa négociation des baies d'açai, sur le marché nocturne de Belém (c) Dany Neves pour Station Amazonie

Cette baie est en train de connaître un destin similaire à la quinoa. Cette graine, cultivée à l’origine sur les hauts plateaux andins du Pérou et de la Bolivie est devenu une sensation gastronomique mondiale. 

Découverte par un Occident obsédé par les super-aliments et son régime alimentaire, le cours de la tonne est monté en flèche. 

Mécaniquement, les agriculteurs locaux ont commencé à transformer toutes leurs parcelles en monoculture de quinoa. 

La graine est devenue trop chère pour être consommée par les populations locales. 

C’est ce qui se passe avec l’açai : consommé en sorbet dans le reste du pays, la fièvre devient peu à peu mondiale. Peut-être avait vous déjà vu des chaînes de sorbet à l’açai à Paris et dans les grandes villes de France. 

La dense végétation du Combu ressemble à première vue à une forêt sauvage. Mais à y regarder de plus près, on aperçoit une surreprésentation du palmier à açai. 

“L’or noir de l’Amazonie” est devenu un des piliers de l’économie du Nord du pays. Les conséquences sont déjà visibles : la forêt est remplacée par des plantations d’açai.

Les populations locales ont, elles, de plus en plus de difficulté à acheter ce pilier de leur culture alimentaire. 

Des service public pour les “essentiels” 

Dona Nena est ribeirinha. Elle appartient à une population traditionnelle qui vit en bord de fleuve et dont le mode de vie est intimement lié à la forêt. 

En tant que ribeirinho, on doit protéger la forêt 

L’entrepreneuse a donc fait le choix de développer une source de revenu qui ne détruit pas son environnement. Au risque de renoncer au passage à l’échelle. 

À contre courant de l’économie de l’açai. 

Au vue de la nature du produit qu’elle travaille et du territoire où elle vit, garder un impact positif, c’est renoncer aux grands volumes. 

Les grattes-ciels de Belém, vus depuis l'île du Combu (c) Dany Neves pour Station AmazonieLes grattes-ciels de Belém, vus depuis l'île du Combu (c) Dany Neves pour Station Amazonie

Il n’y a pas de recette miracle et le compromis est un autre des piliers de bioéconomie. Par contre, il existe des incontournables. 

C’est de cela dont elle a parlé avec le président Lula, lorsqu’il est venu visiter sa chocolaterie avec le président Macron l’année dernière. 

Je ne lui ai pas parlé que de la forêt mais aussi  et surtout des demandes de la communauté. Nous avons besoin d’électricité, de tout-à-l’égout et d’eau potable. 

On associe souvent la préservation de l’Amazonie à une lutte épique contre les incendies, à des chiffres qui donnent le tournis, que ce soit des milliards de dollars ou des hectares de forêt. 

Mais la protection de ce territoire c’est aussi, de manière très concrète, garantir les droits des populations locales qui sont sur la ligne de front. 

On a beaucoup parlé pendant la pandémie des travailleurs essentiels. Brusquement, ont surgi sur nos écrans les histoires de ces personnes qui font tourner la machine au quotidien. 

Sans doute est il nécessaire de raconter, aussi, les histoires de ceux qu’on appelle ici “les gardiens de la forêt”. 

Autochtones, ribeirinhos, quilombolas (communautés afro-descendantes) : comme l’explique Dona Nena,

On a aussi besoin de services publics pour pouvoir se maintenir ici. Et préserver la forêt. 

La semaine prochaine : Je ferai comme tout le monde et je vous parlerai du Pape.

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Le Festival du cinéma brésilien va avoir lieu à Paris du 29 avril au 6 mai.

Pour cette 27ème édition, une sélection pointue de films et documentaires sera diffusée au célèbre cinéma de l’Arlequin. La plupart de ces œuvres seront projetées pour la première fois en France ; une grande partie est même encore inédite au Brésil.

Et parmi eux, quelques films qui parlent d’Amazonie. Notamment Manas dont je vous parlais dans cette édition sur Ford et un documentaire sur David Kopenawa, dont je vous parlais dans cet article sur le carnaval.

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Station Amazonie

Par Hugo Kloëckner

La première fois que je suis allé en Amazonie, je rêvais d’aventure. J’avais été biberonné au Marsupilami et aux documentaires. Je suis tombé de haut.

Cette chute, je l’ai tant aimée, que je suis resté en Amazonie. Je suis basé à Belém depuis cinq ans. Station Amazonie est le prolongement de ce projet de vie.

Diplômé d’HEC, passé par le conseil et le monde de l’entreprise, je suis aujourd’hui indépendant et travaille comme consultant et interprète.


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