Bom dia! Je suis Hugo et j'ai créé cette newsletter pour vous emmener comprendre l’Amazonie avec les gens qui y vivent. Dans cette édition, nous remontons aux origines du mot et du mythe.
Aujourd’hui, je prends le temps de revenir sur l’origine du mot que j’emploie toutes les semaines et je vous parle d’un livre : L’Invention de l’Amazonie. Écrit par la professeure de lettre Neide Gondim, il analyse comment les Européens - les colons, les scientifiques et les écrivains - ont contribué à forger un mythe encore vivant aujourd’hui.
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“L’Amazonie a été inventée avant d’être découverte”.
Neide Gondim était professeure et chercheuse en lettres à l’Université fédérale de l’Amazonas (l’État amazonien situé à l’ouest du Para). Elle a passé sa carrière à déconstruire le mythe amazonien.
Décédée en 2018 à Manaus, elle est l’autrice d’un ouvrage de référence et dont le titre résume à merveille sa thèse : L’invention de l’Amazonie (non traduit, édition Valer).
Aux origines d’un branding redoutable : le choc des premiers colons
L’Amazonie est à la mode. Mais cette mode ne date pas d’hier : elle remonte précisément à la première expédition européenne qui a parcouru l’Amazone, du Pérou jusqu’à son embouchure, en 1541.
Après de longs mois en mer, à la merci des tempêtes, des maladies, des famines et des mutineries, on peut imaginer le mélange de soulagement et de stupeur qui frappa les Européens quand ils posèrent le pied sur le sol amazonien.
Gravure d'André Thévet publiée dans Les Singularités de la France antarctique (1557)
Ces hommes venus d’une Europe dominée par les monarchies catholiques découvraient une jungle luxuriante peuplée de gens dont ils n’avaient jamais entendu parler.
La vision de femmes à moitié nues et leur tirant des flèches dessus était propre à impressionner des hommes venus d’une société patriarcale où la nudité était un péché.
Gaspar de Carvajal, le missionnaire chargé de faire le récit de l’expédition, les compare à des Amazones, ces figures mi femme mi cheval de la mythologie grecque. Il baptise de leur nom le fleuve où ils se trouvent quand ces femmes leur tirent dessus.
Par extension, la région portera désormais le nom d’Amazonie.
L’histoire de l’Amazonie ne commence pas lors de ce voyage (je parlais de l’occupation millénaire de la région dans cet article). Mais ce jour là naît un branding puissant conçu pour rationaliser le choc de la vision de femmes se battant seins nus.
Aujourd’hui encore, l’Amazonie est l’une des marques les plus puissantes au monde. Ce n’est pas pour rien qu’Amazon (la plateforme dont le propriétaire a envoyé Katy Perry dans l’espace) porte ce nom.
La construction d’un storytelling : le paradis sur terre
Dans son ouvrage, Neide Gondim cherche à démontrer comment l’Amazonie est devenue un territoire où les Européens ont projeté leurs mythes et leurs fantasmes.
Gravure du 19ème, anonyme
Elle se base sur les sources écrites dont nous disposons : ceux des premiers colons, des scientifiques et des écrivains. Entre le XVème et le XIXème siècle, il n’y a avait ni tweets ni vlogs mais des lettres et des récits de voyage. Et aussi, déjà, quelques fake news.
La chercheuse a observé une tendance de fond :
Les siècles peuvent changer et les chroniqueurs être de nationalités différentes, pourtant, face au fleuve et à la jungle amazoniens, presque de manière systématique, personne ne s’est abstenu d’externaliser des sentiments allant du primitivisme pré-edenique à l’enfer originel.
Au sortir du Moyen-Âge, la référence, c’est la bible.
“Face à une faune qui n’a pas embarqué sur l’arche de Noé et une flore qui n’a pas été inondée par le déluge”, les colons des débuts se cherchent des points de comparaison . “Utiliser des analogies permet de familiariser l’exotique”.
Ainsi le fruit de la passion est une référence au fruit défendu et à la tentation d’Ève dans le jardin d’Eden.
Plus largement, les récits faits par les premiers Européens vont répandre la rumeur que de l’autre côté de l’océan se trouve un paradis terrestre.
Fleurs de fruit de la passion et colibri, Martin Johnson (19ème)
Fascination et retour de bâton : l’Europe prend un coup de vieux
l’existence d’une telle variété naturelle, ethnique et culturelle a forcé l’ouverture de nouvelles perspectives pour les réflexions sur l’homme et la nature.
C’est à partir de ces récits de voyage que Montaigne puis Rousseau vont développer toutes leurs théories sur le rapport de la nature et de la culture. Et forger le mythe du “bon sauvage”.
Mais dans le même temps que surgit ce Nouveau Monde, mécaniquement, l’Europe devient le Vieux Continent.
Bref, ils sont fascinés mais “Adam est détrôné et déchu”.
Car l’Europe vient de découvrir un monde qui permet de renouveler la manière de penser le monde contemporain. Et notamment politiquement et économiquement.
le mode de vie local entrait en collision avec la conception de l’État central autoritaire européen.
Les millions d’autochtones qui peuplaient la région (entre 5 et 10 millions selon les estimations) avaient une manière de vivre et d’interagir avec leur environnement incompréhensible pour des yeux européens habitués aux monocultures et aux échanges monétaires.
Populations autochtones de la province du Para, 19ème, anonyme
Peu à peu, le choc visuel des débuts fait place à :
l’insatisfaction de voir la non confirmation d’une image paradisiaque ou idyllique d’un monde naturel qui ne reçoit pas le voyageur avec les commodités qu’il souhaiterait avoir.
Les Européens sont émerveillés par un monde nouveau et perdu face à un écosystème dont ils ne maîtrisent pas les codes.
Face à ce retour de bâton, “le nouveau est filtré par l’ancien, en assurant à ce dernier la suprématie”.
Nature vs. culture : le vieux continent prend sa revanche
Ainsi l’évangélisation des peuples a été l’un des outils pour justifier moralement et légalement la colonisation.
Les scientifiques, comme Buffon, développent eux la thèse selon laquelle “l’Amazonie est un monde intact où l’homme est un intrus du fait de la chaleur et de l’humidité”.
Cette idée qu’en Amazonie les humains sont soumis à la Nature va se diffuser en Europe par le biais des récits de voyageurs, des articles scientifiques mais aussi par le biais de la fiction.
Jules Vernes s’empare du sujet dans son roman La Jaganda, 800 cent lieues sur l’Amazone, une histoire policière parue en 1881. Conan Doyle connaîtra un succès retentissant avec Le Monde perdu, paru en 1912 (et adapté à de multiples reprises au cinéma).
Les films de Werner Herzog, Fitzcaraldo et Aguirre font aussi de la forêt amazonienne une protagoniste sauvage et indomptable.
Et aujourd’hui, qu’est-ce qui a changé ?
Dans la tête de chacun d’entre nous, quand on prononce le mot Amazonie, surgissent des images qui sont directement le produit de cette invention née en 1541.
Plus récemment, une nouvelle couche est venue se superposer : Eden tropical, Enfer vert et puis désormais le poumon de la planète qu’il faudrait sauver. (Ce n’est pas vrai, j’en parlais dans cet article).
La COP aura lieu cette année à Belém : une occasion pour remettre les points sur les i et actualiser le mythe en donnant la parole aux gens d’ici.
Aujourd’hui, je vous recommande un polar amazonien. Une écriture au couteau qui vous emmène explorer les bas-fonds de l’âme humaine.
Rapide (160 pages), violent, ce livre est une expérience. Il a été adapté par Netflix, la série dérivée de cette histoire perturbante devrait bientôt sortir.
Edyr Agusto est un auteur paraense qui tire le portrait de l’Amazonie urbaine comme personne.
Rejetée par ses parents après la diffusion d’une vidéo intime, Janalice, quatorze ans, est envoyée chez sa tante, dans le centre-ville de Belém. L’adolescente va se familiariser avec la faune interlope de ses rues : vendeurs à la sauvette, toxicomanes et maquereaux. Mais sa beauté attire rapidement la convoitise et Janalice finit par se faire kidnapper en pleine rue.
Amadeu, un flic à la retraite, s’empare de l’affaire par amitié pour le père de la jeune fille. Sur les traces de Janalice, il entame un périple halluciné en Amazonie, à la frontière du Brésil et de la Guyane française. C’est là que s’entrecroisent toutes sortes de trafics – orpaillage, piraterie fluviale, prostitution infantile et traite des blanches –, le tout avec la complicité de l’administration locale. Mais arrivera-t-il à temps pour sauver Janalice de l’horreur ?
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