Mutirão et Mayouri : le Para et la Guyane renouent leurs liens

Bom dia! Je suis Hugo et j'ai créé cette newsletter pour vous emmener comprendre l’Amazonie avec les gens qui y vivent. Dans cette édition, nous parlerons de la plus grande frontière terrestre de France, qui se trouve... en Amazonie.

Station Amazonie
4 min ⋅ 28/05/2025

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Le président de la COP30 de Belém (qui se tiendra en novembre) a lancé un appel à un “mutirão global contre le changement climatique”. 

Mutirão est un mot dérivé du tupi-guarani (une langue autochtone) qui désigne un travail collectif. Par exemple, quand tout un village se réunit pour labourer un champs ou déblayer une route.   

André Corrêa do Lago, qui sera en charge des négociations, a écrit dans une lettre publiée vendredi 23 mai :

Atteindre nos objectifs (…) exigera plus qu’un engagement. Cela exigera un changement dans la manière dont nous pensons et nous travaillons tous ensemble.

Dans la même missive, il défend sa vision d’une COP “de la mise en place”, en prévenant que “l’abstraction de notre travail (diplomatique ndlr) doit commencer à se répercuter dans des expériences concrètes”.  

L’objectif : sortir des promesses hors sol et mettre en place les engagements pris lors des accords de Paris, grâce à un travail collectif inédit. 

Mutirão n’a pas de traduction littérale en français. Par contre, il existe un équivalent en créole guyanais : mayouri. 

Ce mot désigne le rassemblement d’un groupe qui réunit ses forces pour déboiser, nettoyer, récolter et planter. 

Mayouri organisé en Guyane (c) Communication CACLMayouri organisé en Guyane (c) Communication CACL

La Guyane se prépare pour faire entendre sa voix 

On l’oublie souvent : la plus grande frontière terrestre de la France est en Amazonie, à 700 kilomètres au Nord de Belém. 

Vu du ciel, la seule chose qui divise le tapis forestier est l’Oyapoque, le fleuve qui dessine la frontière naturelle entre les deux pays. 

Le pont qui enjambe l'Oyapoque et relie la France et le Brésil (c) S. Letniowska-Swiat Le pont qui enjambe l'Oyapoque et relie la France et le Brésil (c) S. Letniowska-Swiat

Mais la Guyane est aussi un département français et, à ce titre, elle dépend administrativement de l’hexagone, à 7000 kilomètres de là. 

Politiquement et économiquement, cette enclave européenne sur le continent américain est isolée de ses voisins, le Suriname et le Brésil. 

Pourtant on est complètement amazonien, il n’y a aucune ambiguïté. On est bercé par la culture amazonienne. Pendant longtemps on a été tourné vers l’hexagone. Aujourd’hui les choses sont en train de changer et il y a une volonté de s’affirmer comme territoire amazonien.

Christian Haridas est maître de conférences à L’université de Guyane, en sciences de l’éducation et en langues et cultures régionales. Il s’est vu confier une mission qui l’a amené à délaisser les amphis au profit de la ville de Belém. 

Il a été chargé par Gabriel Serville, le président de la Collectivité Territoriale de Guyane (CTG), d’ouvrir à Belém une représentation permanente officielle pour “oeuvrer activement à l’intégration régionale de la Guyane dans son environnement amazonien”. 

Universités, institutions culturelles, entreprises, associations : l’objectif est de construire des ponts entre les acteurs publics et privés des deux côtés de la frontière. 

Le Para et la Guyane : deux régions soeurs isolées l’une de l’autre

Aujourd’hui on est très éloigné de l’Hexagone. Au même titre que l’État du Para est isolé du Sud du pays. Cayenne et Belém sont deux villes à la périphérie. Cet isolement créé une complicité. Ça permet de créer des liens pour s’affirmer en tant qu’amazoniens, ensemble.

L’activité économique est fortement enclavée : 88% des exportations et 70% des importations se font avec la France et l’Union européenne (Insee, 2023). 

C’est le paradoxe d’un territoire géographiquement situé en Amazonie mais historiquement rattaché à la France. Et où ce sont les règles et les normes européennes qui s’appliquent. 

Comme le résume Christian Haridas :

si je veux acheter une bouteille de Guarana brésilien (un soda), il faut d’abord qu’elle passe par l’Europe. 

Ce modèle à des conséquences : les produits alimentaires sont en moyenne 39% plus chers en Guyane que dans l’hexagone (INSEE). 

Cayenne, la capitale de la Guyane (c) M. HaddauiCayenne, la capitale de la Guyane (c) M. Haddaui

Il y a des frustrations. L'hexagone est à plus de 7000 km et il y a un décalage avec des lois qui ne sont pas forcément adaptées.

Du fort taux de pauvreté au pillage des ressources (orpaillage et pêche illégale) en passant par le manque d’infrastructures, les défis politiques, économiques et sociaux ne manquent pas. 

En Guyane, nous nous sentons capables de discuter avec nos partenaires sud-américains. Nous souhaitons pouvoir apporter notre pierre à l’édifice. 

Coopérer pour construire un nouveau modèle de développement 

Avec l’ouverture d’une représentation permanente à Belém, les autorités guyanaises cherchent à promouvoir un autre modèle de développement, “en coopération avec nos voisins” précise l’universitaire missionné par la Collectivité territoriale de Guyane.

Cette coopération a déjà commencé, comme me l’explique Franck Chow-Toun, responsable des relations internationales à l’Office de l’eau de la Guyane.

L’Oyapoque et son bassin versant mesurent entre 33 et 36 kilomètres carrés. Il y a une interdépendance entre l’amont et l’aval et aussi entre les deux rives. Il y a 7 ans, on a monté un projet pour se rapprocher de nos voisins, de l’autre côté de la rive.

L’objectif : mutualiser les efforts pour assurer une gestion et une surveillance conjointe du fleuve qui prenne en compte ses deux versants. 

Qualité de l’eau, prévention de la sécheresse et des inondations : cette collaboration permet d’anticiper les conséquences du changement climatique et d’améliorer la vie des populations qui dépendent de ce fleuve. 

Aujourd’hui, Il faut renforcer cette gouvern,ance transfrontalière. Il faut faire en sorte que les populations puissent intégrer cette gouvernance et qu’elles puissent avoir une voix, parce que ce sont elles qui connaissent le mieux leur territoire.

Cette nécessité va au-delà de l’Oyapoque. Franck Chow-Toun a rejoint la représentation guyanaise pour faire passer à l’échelle ces initiatives. 

La Guyane fait partie du bassin amazonien. Elle doit faire corps avec ses voisins et porter avec eux un plaidoyer commun pour construire demain. Et définir comment faire société avec son environnement géographique.

Sur le volet politique et économique, il existe des outils légaux à leur disposition. 

La loi Letchimy (du nom du député martiniquais Serge Letchimy), adoptée en 2016, a ouvert de nouvelles perspectives pour les territoires d’outre-mer.

Elle permet, sous certaines conditions, aux collectivités territoriales françaises de signer des conventions avec des États.

Et puis, la Guyane française est aussi la plus grande des neuf Régions ultrapériphériques de l’Union Européenne (RUP). Une catégorie qui regroupe aussi la Guadeloupe, la Martinique, Mayotte, la Réunion, Saint-Martin, les Canaries (Espagne), les Açores et Madère (Portugal).

Au même titre que le reste du territoire européen, ces RUP sont éligibles aux fonds dédiés au développement territorial.

Ainsi, le Programme Interreg de coopération amazonienne (PCIA) alloue 18,9 millions d’euros à des projets de coopération entre la Guyane française et ses voisins : le Suriname, le Guyana et le Nord du Brésil (Amapa, Para et Amazonas).

4 priorités stratégiques ont été définies : le transport, l’environnement, la santé et le développement des entreprises.

La condition pour bénéficier des fonds : être mené en collaboration avec au moins un de ces pays.

Comme le relève Christian Haridas :

le président Lula en organisant la COP à Belém ne fait pas que décentrer symboliquement l’évènement : il y a une dimension politique et sociale aussi. Ça sera l’occasion pour nous, guyanais, de prendre la parole pour définir le projet de société que nous voulons.

Côté Guyane, le mutirão ou mayouri n’a pas attendu la COP pour commencer. 

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Par Hugo Kloëckner

La première fois que je suis allé en Amazonie, je rêvais d’aventure. J’avais été biberonné au Marsupilami et aux documentaires. Je suis tombé de haut.

Cette chute, je l’ai tant aimée, que je suis resté en Amazonie. Je suis basé à Belém depuis cinq ans. Station Amazonie est le prolongement de ce projet de vie.

Diplômé d’HEC, passé par le conseil et le monde de l’entreprise, je suis aujourd’hui indépendant et travaille comme consultant et interprète.


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