Bom dia! Je suis Hugo et voici une newsletter pour découvrir l’Amazonie avec les gens qui y habitent. Dans cette édition, on parle carnaval, samba carioca, cosmogonie yanomami et anthropophagie culturelle.
Le célèbre carnaval sur l'eau de Caméta (c) Fora do eixo
Aujourd’hui, c’est le mercredi des cendres, le dernier jour du carnaval, et au Brésil beaucoup se sont réveillés avec la gueule de bois. Du Nord au Sud, de Belém à Rio de Janeiro, des millions de foliões (carnavaliers) ont encore des paillettes sur les pommettes.
Pour cette édition spéciale carnaval, le format sera un peu différent et un peu plus court. Ne ratez pas la recô amazônique, après le reportage.
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Les brésiliens souffrent, mais ce sont les pro du bonheur. Ils sont foutus et mal-payés mais au carnaval, ils sont tout nus... c’est brillant
Rita Lee a bien résumé ce fameux esprit du carnaval. Comme l’a décrit la légende brésilienne du rock, le carnaval est un grand moment de ferveur populaire et de catharsis. Pendant quatre jours, la société prend le temps de s’arrêter pour se regarder et chanter en chœur.
Le défilé des écoles de samba est un de ses principaux rites. Il a lieu dans les sambodromes, des stades spécialement conçus pour ce moment. Tous les ans, des dizaines de Thomas Joly rivalisent d’inventivité pour remporter la coupe de la meilleure cérémonie d’ouverture.
Chaque école est libre de choisir son propre thème. Mais ce choix n’est jamais anodin. Le carnaval est un sujet sérieux : en France nous avons le Panthéon, au Brésil, chaque ville a son sambodrome pour célébrer les héros et héroïnes du roman national.
Zumbi de Palmares (chef de guerre anti-esclavagiste du XVIIème siècle), Jorge Amado (écrivain du XXème siècle), mais aussi Ronaldo (un des meilleur buteur de la seleção - sauf en 1998 face à la France, ndlr), Maria Bethânia (légendaire chanteuse) ou encore Lula.
Chanteurs, écrivains, politiques, acteurs de novela et joueurs de foot : c’est l’ensemble des personnalités qui marquent la culture et l’histoire du Brésil qui sont célébrées. Et ici on n’a pas peur de panthéoniser les gens de leur vivant.
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Char inspiré par la cosmogonie Yanomami, lors du défilé de l'école de samba Salgueiro (c) Pri Amaral
En 2024, Salgueiro, l’une des écoles les plus primées de l’histoire à mis à l’honneur Davi Kopenawa et son peuple, les Yanomami. Le chef politique et spirituel a participé au spectacle, juché sur un char aux côtés (notamment) d’Ehuana Yanomami, première écrivaine à publier un livre dans sa langue et de Morzaniel Iramari, premier cinéaste Yanomami.
L’enredo choisi cette année (l’hymne spécialement composé par les sambistas de l’école) s’intitulait Hutukara, c’est-à-dire “le ciel originel à partir duquel la terre s’est formée” en Yanomami. Le défilé était une célébration de la cosmogonie autochtone et une dénonciation de la grave crise sanitaire à laquelle ils faisaient face cette année.
Les Yanomami sont un peuple d’environ 45 000 personnes, encore relativement isolé, et qui vit sur un territoire grand comme deux fois la Suisse (à la frontière entre le Brésil et le Vénézuela). Depuis 2022, ils font face à une grave crise sanitaire qui fait exploser la mortalité, en raison de l’invasion de leurs terres par des orpailleurs et de la pollution des eaux au mercure.
Jeunes yanomami devant un hélicoptère des forces spéciales (c) Free Malaysia Today
Dans la Chute du ciel (Plon, 2010), son livre coécrit avec l’anthropologue Bruce Albert, Davi Kopenawa décrit la vision du monde Yanomami et relate l’avancée dévastatrice du blanc dans la forêt. Toutes les créatures, les pierres, les arbres et les montagnes ont un esprit. Les chamanes, comme Davi Kopenawa, peuvent communiquer avec ces xapiris (ces esprits).
À force de détruire la forêt, “ces esprits (...) vont fuir très loin. Leurs pères, les chamanes, ne pourront plus les appeler et les faire danser pour nous protéger. (...). Ils ne pourront plus retenir les êtres maléfiques qui vont faire de la forêt un chaos. Nous mourrons, les uns après les autres, les blancs, comme nous. Tous les chamanes vont mourir. Quand il n’y aura plus personnes de vivant pour retenir le ciel, il tombera”.
La rencontre entre le chamane qui vit dans une grande maison commune faite de paille et les compositeurs de l’école de samba de Salgueiro a été fructueuse. Pour la première fois, le Yanomami s’est rendu dans une favela.
“Je connaissais déjà le carnaval, mais pas Salgueiro et là où ils habitent à Rio. (...). Eux, c’est le peuple noir, qui a été ramené par l’homme blanc. Je connaissais leur histoire. L’homme blanc les maltraitait. Nous, le peuple Yanomami, l’homme blanc ne nous aime pas non plus. Donc c’était bien de les rencontrer. Ça a mis du temps mais c’était bien de les rencontrer”, comme il l’a déclaré à Globo en février 2024.
Ensemble, ils ont composé les paroles de Hutukara qui commence comme ça :
Ya temi xoa, aê-êa (Nous sommes toujours vivants, en Yanomami)
Ya temi xoa, aê-êa
Salgueiro est la flèche pour le peuple de la forêt
Parce que la chance qu’il nous reste c’est le Brésil avec une coiffe de plume
Le clip de la chanson avec les images du défilé est disponible ici :
Davi Kopenawa (au centre sur l'image) défile sur un char (c) Hugo Reis
Cette samba qui débute en Yanomami symbolise bien le carnaval, ce moment où on peut devenir l’autre et où on revoit les hiérarchie.
En 1928 dans son Manifeste anthropophage, le poète Oswald de Andrade proposait, en opposition au colonialisme culturel de l’époque (seul comptait ce qui venait d’Europe), “une dévoration critique”.
Assimiler et transformer la culture de l’autre (autochtone, afro-descendant ou européen) pour la convertir en “articles d’exportation”. Comme l’hymne Hutukara.
Hier soir, pour le carnaval 2025, Grande Rio, une école de samba carioca de première division (comme les clubs de foot, elles sont classées selon leur réputation), a mis à l’honneur le Para, l’un des États d’Amazonie. En guest stars, Fafa De Belém, Dona Onete et Mestre Damasceno (trois artistes qu’on retrouve dans la playlist spotify de Station Amazonie disponible ici).
Le défilé s’est terminé aujourd’hui à 5 heures du matin, heure locale. Je vous dévoilerai la teneur de ce défilé et la note obtenue par l’école la semaine prochaine.
La semaine prochaine : et si la forêt amazonienne n’était qu’un vaste potager ?
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les foliões (carnavaliers) sur le point de partir en cortège (c) fora do eixo
Le carnaval, c’est le sambodrome, mais c’est aussi et surtout dans la rue qu’il se passe. Et en Amazonie, la rue, c’est souvent un fleuve.
Ainsi, dans les communautés rurales autour de Cameta, une ville à 5 heures de bateau ou 13 heures de voiture de Belém, c’est sur des bateaux que les gens défilent dans les traditionnels blocos (cortège qui suit une fanfare).
Dans cette courte vidéo, vous découvrirez le carnaval des eaux de Cameta : https://www.youtube.com/watch?v=iY5HrBxQlqo
Le bloco des animaux de la communauté de la Vila de Juaba existe depuis les années 70. Pensé pour sensibiliser la population à la protection de la faune, il donne lieu tous les ans à un défilé d’animaux amazoniens (et moins amazoniens) dans les rues du village. Pour découvrir les photos de Raimondo Pacco, c’est par ici : https://www.instagram.com/p/C2M3OKWuTHH/?img_index=1
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