Forêt ou potager ?

Bom dia! Je suis Hugo et voici une newsletter pour découvrir l’Amazonie avec les gens qui y habitent. Dans cette édition, on parle de laser, de compost préhistorique et de déforestation.

Station Amazonie
7 min ⋅ 12/03/2025

Aujourd’hui, on part à la rencontre de Cristiana Barreto, archéologue spécialiste de la région qui participe à un projet peu commun. Avec d’autres collègues, ils souhaitent s’appuyer sur l’archéologie pour préserver la forêt et les droits de ses habitants.

Contexte :

  • La forêt vierge n’existe pas : avant la colonisation, les humains ont rendu son sol fertile, sélectionné ses arbres et modifié certaines plantes.

  • Le projet Amazônia revelada cartographie en 3D la forêt pour repérer les sites archéologiques et lutter contre la déforestation.

  • La cartographie révèle de nombreux vestiges du passé et les dégâts du présent.

À la fin du reportage, ne loupez pas le climat de la COP et la recô amazônique.

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Pendant la pandémie, avec plusieurs amis archéologues, on était désespéré de voir ce qui était en train d’arriver en Amazonie. Alors, on a monté un projet qui s’appuie sur l’archéologie pour préserver la forêt.

Cristiana Barreto fait partie de la première génération d’archéologues brésiliens et s’est formée à une époque, où pour étudier cette science, il fallait partir à l’étranger. Aujourd’hui, elle est une grande spécialiste de la céramique amazonienne et l’une des coordinatrices du projet Amazônia revelada (Amazonie révélée), financé par la National Geographic Society. 

Lancé en 2023 il s’appuie sur une technologie, la télédétection par laser (Lidar), qui permet de cartographier les reliefs du sol, en 3D et avec une très grande précision. Les scientifiques cherchent ainsi à identifier, à grande échelle, le plus possible de sites archéologiques cachés sous le manteau forestier. 

Cartographie 3D d'un site archéologique en Amazonie (c) LidarCartographie 3D d'un site archéologique en Amazonie (c) Lidar

Compost préhistorique et agroforesterie : la forêt vierge n’existe pas

Faire de l’archéologie dans une forêt tropicale peut sembler incongru. Une forêt dense, chaude, humide et peu peuplée : à priori rien qui favoriserait la construction de grandes pyramides. 

Depuis les débuts de la colonisation au XVIème siècle, l’idée selon laquelle l’Amazonie est une forêt vierge s’est imposée dans l’imaginaire occidental.

La science a d’abord soutenu cette idée, comme l’explique Cristiana Barreto : “dans les années 50, Beth Meggers, du Smithsonian Institute de Washington, a créé cette théorie selon laquelle en Amazonie, les sols sont appauvris par les fortes pluies et qu’il n’est pas possible d’y pratiquer l’agriculture.”

Jusqu’à la fin du XXème siècle, la céramique qu’on trouve en abondance était l’une des seules sources d’information sur l’Amazonie pré-coloniale. Chercheuse à l’Université de Sao Paulo (USP) et professeure à l’institut Emilio Goeldi de Belém, Cristiana Barreto a appris à lire dans les tessons de poterie “comme dans des livres”.

“Ce qui est curieux dans l’iconographie de la céramique amazonienne, c’est qu’on n’a pas de représentation de plantes. Dans les Andes, on a des vases en forme de maïs ou de végétaux, mais pas en Amazonie.” Pas de référence à l’agriculture donc. 

Cette approche déterministe de l’environnement a longtemps dominé : les conditions de vie difficiles ont empêché le développement de civilisations amazoniennes. 

Sauf que l’archéologie s’est peu à peu ouverte à d’autres disciplines qui ont permis d’ouvrir de nouvelles perspectives. Pour mieux comprendre l’Amazonie pré-coloniale, certains se sont intéressés… aux plantes et à la terre. 

“La terre noire est un sol qu’on trouve dans les sites archéologiques, qui est très sombre et que beaucoup d’agriculteurs utilisent parce qu’il est très fertile”. 

Des études initiées dans les années 80 ont peu à peu révélé que ce sol, bien connu des populations locales pour ses qualités agricoles, était en fait un compost préhistorique. 

On sait désormais que ces sols ont été modifiés par les humains : ils sont fertiles parce qu’on y trouve une forte concentration de phosphore, calcium, zinc et manganèse et de carbone organique, jusqu’à 100 fois supérieure aux autres sols. 

Pendant des milliers d’années, ces sols ont été enrichis par des déchets organiques et du charbon, sans que l’on sache à quel point cette modification était volontaire. 

Une chose est sûre : ces sols ont une origine anthropique, comme en attestent les nombreuses céramiques qui y ont été retrouvées. Et ils sont anciens : certains sols datent de plus de 5000 ans. 

On estime par ailleurs qu’il y a 16000 espèces d’arbres en Amazonie mais seules 227 d’entre elles représentent plus de la moitié des arbres trouvés dans la forêt. Et parmi ces espèces dominantes, 60% sont source d’alimentation ou de matière première. 

Plus de 83 plantes natives ont été domestiquées : manioc, cacao, patate douce, ananas, pour les plus connues.  

L’agriculture était donc indéniablement pratiquée en Amazonie et les autochtones ont transformé en profondeur la forêt. C’est l’agriculture intensive qui n’existait pas. L’impact humain sur le paysage amazonien est longtemps resté invisible aux yeux d’occidentaux habitués aux champs de blé.

Les populations autochtones pratiquaient déjà l’agroforesterie et la permaculture dans un environnement qui était, contrairement à ce que pensait Meggers, caractérisé par l’abondance. 

C’est d’ailleurs une des raisons soulignées par Cristiana Barreto pour expliquer l’absence de représentations de plantes dans la céramique locale : “la valeur accordée au produit agricole est bien moindre en Amazonie que dans les montagnes andines, parce qu’ici, il suffit de tendre la main pour récolter”.

La forêt vue comme un patrimoine

Aux côtés du coordinateur du projet Eduardo Góes Neves et de ses collègues Bruna Rocha, Carlos Augusto da Silva et Filippo Stampanoni, ils répondent à un appel à projet de la National Geographic Society. 

“C’était un appel à projet pour sauvegarder du patrimoine, une cathédrale ou une pyramide. Et nous, on y est allé en disant que l’Amazonie est un monument. Ça a été difficile de les convaincre.”


Ils insistent et parviennent à décrocher le financement d’un projet pilote. Avec la technologie LIDAR, ils vont pouvoir obtenir un dessin exact du relief du sol et cartographier les territoires les plus menacés par la déforestation pour y identifier de potentielles traces d’occupation humaine. 

Leur idée est simple : la découverte d’un patrimoine archéologique est un argument supplémentaire pour la protection de la forêt. 

“Cette idée de forêt vierge est problématique parce qu’elle sert un projet politique. Si personne n’y habite, on peut se servir. Et les peuples autochtones qui y vivent sont ignorés et menacés.”

Comme ce projet est pensé pour protéger à la fois la forêt et ses habitants, c’est en collaboration avec eux que les zones analysées ont été définies. Les archéologues sont allés à la rencontre de chacune des communautés dont les territoires allaient être survolés pour obtenir leur accord. 

Ce processus est long mais il a permis d’identifier les zones où les probabilités de trouver des vestiges archéologiques étaient les plus fortes. Les territoires les plus vulnérables face aux invasions et à la déforestation ont aussi pu être priorisés. 

La technologie Lidar est une petite révolution technologique qui permet de collecter un grand nombre de données en un temps record et de venir bousculer les idées préconçues. 

Ainsi en janvier 2024, l’archéologue français Stephen Rostain annonçait dans la revue Science la découverte d’une vaste cité-jardin de 2500 ans en Amazonie équatorienne. 

Une archéologie du passé… et du présent

Les relevés effectués dans le cadre du projet Amazonia revelada n’ont quant à eux pas encore été complètement analysés mais les découvertes se multiplient déjà. 

“On a commencé par faire des survols dans l’État de l’Acre, où il y a beaucoup de géoglyphes (grand motif dessiné à même le sol, ndlr). On voulait comprendre si ces dessins s’étendaient encore plus loin dans la forêt. Et oui c’est le cas. Et on a aussi découvert que tous ces sites étaient reliés par des chemins”

On sait qu’il existait depuis longtemps un dense réseau de chemin qui permettaient de se déplacer à pied sur de longues distances. Ainsi, le capitaine Altamirano, le chroniqueur de l’expédition de Lope de Aguirre (et qui a inspiré le film Aguirre ou la colère des dieux de Werner Herzog) raconte qu’en 1562, il a pu marcher sur une route sur plus de 200 km, en partant du fleuve Solimões. 

D’autres routes ont été construites, plus particulièrement depuis les années 70 et Cristiana Barreto fait un constat sans appel : “dans la région du Tapajos, qui est traversé par la Ferrogrão (une voie de chemin de fer construite pour favoriser les exportations de soja et de maïs), on a vu que de la destruction. On peut faire une archéologie de la destruction provoquée par les routes, les voies de chemin de fer et les ports.” 

L’ensemble des informations collectées vient alimenter une base de données. Les images sont analysées et une fois les sites recensés commence un travail de fourmi. Il s’agit d’enregistrer auprès de l’Iphan (l’institut du patrimoine historique et artistique national) l’ensemble de ces zones  pour qu’elles bénéficient d’une protection juridique supplémentaire.

Voire de faire interrompre des projets ou des travaux en cours quand ils constituent une menace à court terme. Mais pour cela, il faut aller réaliser des fouilles sur le terrain. Et ça prend du temps.

Joycilene Pereira est la maraîchère à qui j’achète toutes les semaines mes légumes. Son exploitation est localisée à Santo Antônio do Tauá, à 40 km de Belém. La plupart de ses plantation sont faites dans de la terra preta et, comme elle me l’explique, “par rapport à la terra amarela (la terre jaune, commune, ndlr), le cycle de vie des plantes est beaucoup plus grand”. 

Elle ajoute : “ici, on travaille en bio depuis plus de 20 ans et on nourrit notre terre, c’est aussi pour ça que notre sol est très bon”. Dans la continuité de ce qui se fait depuis des milliers d’années en Amazonie.

Il y a quelques années, elle a trouvé dans la terra preta un morceau de jutaicica, une résine d’arbre utilisée pour vernir la céramique par les peuples autochtones. Peut-être une relique des populations qui occupaient cette terre avant Joycilene ?

La semaine prochaine : l’Amazonie n’est pas le poumon de la planète (mais on est quand même mal si elle disparaît). Et tout de suite, le climat de la COP suivi de la recô amazônique.

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Coucou la planète - Ce lundi 10 mars, le président de la COP30 de Belém, André Corrêa do Lago a publié une première lettre ouverte aux dirigeants de la planète. Une pratique courante qui permet aux pays hôtes de commencer à donner le ton.

Motirõ - Dans son texte de 12 pages, il fait référence au concept de mutirão, un mot portugais dérivé du tupi-guarani qui désigne le moment où tout le monde se rassemble pour aller aider son voisin à construire sa maison, labourer son terrain ou nettoyer une route. En faisant appel à cette pratique traditionnelle chez les autochtones, le diplomate fait l’éloge du multilatéralisme. Un concept tombé en désuétude ces derniers temps.

Le texte en intégral (et en anglais) est disponible ici.

Je vous en parlais la semaine dernière, dans mon article sur le carnaval, l’école de Grande Rio a défilé mardi dernier. Cette année, elle mettait l’Amazonie et l’État du Para à l’honneur. Elle est arrivée en deuxième position. Beaucoup ici considère que la victoire a été volé par Beija-flor, l’école arrivée en première position.

Pour vous faire votre opinion et voir le défilé, c’est par ici. Pour voir le char inspiré de la céramique marajoara, c’est à 21 minutes.

Et un peu de lecture aussi. Stephen Rostain, archéologue spécialiste de l’Amazonie est la référence sur le sujet en France (il est cité dans l’article). Il est aussi un grand vulgarisateur et l’auteur de nombreux livres passionnants qui vont permettront d’approfondir le sujet.

Je vous recommande en premier lieu Amazonie un jardin sauvage ou une forêt domestiquée (Actes Sud, 2016) . C’est le premier de ses livres que j’ai lu et sans doute celui qui m’a le plus marqué. Il déconstruit avec méthode nos préjugés sur la forêt et nous ouvre la porte d’un monde insoupçonné.

C’est un essai d’écologie historique mais c’est surtout une plongée dans une histoire fantastique qui n’a rien à envier aux meilleurs romans historiques. Le livre est disponible ici.

Votre retour est primordial ! n’hésitez pas à me dire ce que vous pensez de Station Amazonie en répondant à ce mail.

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Station Amazonie

Par Hugo Kloëckner

La première fois que je suis allé en Amazonie, je rêvais d’aventure. J’avais été biberonné au Marsupilami et aux documentaires. Je suis tombé de haut.

Cette chute, je l’ai tant aimée, que je suis resté en Amazonie. Je suis basé à Belém depuis cinq ans. Station Amazonie est le prolongement de ce projet de vie.

Diplômé d’HEC, passé par le conseil et le monde de l’entreprise, je suis aujourd’hui indépendant et travaille comme consultant et interprète.


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