Bom dia! Je suis Hugo et j'ai créé cette newsletter pour vous emmener comprendre l’Amazonie avec les gens qui y vivent. Dans cette édition, je vous parle de fève tonka, de prix juste, de Chanel n°5 et de circuit court.
Aujourd’hui on continue d’explorer un concept très à la mode en Amazonie : la bioéconomie. Je suis allé rencontrer Juliana, une entrepreneuse qui parcourt ce territoire pour rencontrer les producteurs de fève tonka.
Contexte :
La fève tonka ou cumaru est native de l’Amazonie. L’État du Para concentre 70% de sa production.
elle est produite par extractivisme (collecte dans la forêt) ou agriculture familiale (petites plantations)
Paradoxalement, elle n’est ni consommée ni valorisée sur le marché local
Face à la concurrence extérieure, et sans politiques publiques, les industries locales ont du mal à exister
À la fin du reportage, ne loupez pas le climat de la COP et la recô amazônique (cette semaine, mon endroit préféré à Belém).
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La bioéconomie est à la mode en Amazonie. C’est une bonne et une mauvaise nouvelle. C’est bien, parce que ça ouvre les yeux des industries locales et des consommateurs locaux sur nos produits. Mais ça attire aussi l’oeil des acteurs extérieurs…
Juliana Carepa Monteiro s’est d’abord lancée dans la pâtisserie. Mais bien vite, elle a remisé son fouet et ses moules pour se consacrer à son ingrédient préféré : la fève tonka. Depuis maintenant 4 ans, elle se rend aux quatre coins de son État natal, le Para, à la recherche de ce condiment prisé dans le monde entier.
Juliana Carepa en visite sur le terrain, chez Bastião et dona Maria, deux producteurs de fève tonka (c) archives personnelles, Juliana Carepa
La fève tonka est une graine contenue dans le noyau d’un fruit qu’on retrouve dans toute l’Amérique latine et les Caraïbes. Au Brésil, près de 70% de la production se concentre dans l’État du Para, en Amazonie brésilienne (source : IBGE, l’INSEE brésilien).
Le cumaru, comme on l’appelle ici, est une graine bien connue des populations locales qui l’ont inclus dans leur pharmacopée (la médecine traditionnelle basée sur l’usage de plantes et de produits naturels). Il est anti-inflammatoire, antioxydant et vasodilatateur (et même aphrodisiaque pour certains).
Le mot cumaru viendrait du Tupi (une langue autochtone) où il désigne l’arbre dont provient le fruit qui donne cette graine. Traditionnellement, il est consommé en tisane ou mélangé à du tabac. Le mot tonka viendrait lui de la langue des Kali’na, un peuple autochtone qu’on retrouve notamment en Guyane française.
Une success story cosmétique et alimentaire qui dure depuis le début du 19ème siècle
Ce qui a fait le succès à l’international du cumaru c’est la coumarine. Cette substance, qui se caractérise par une odeur de foin fraîchement coupé, a attiré le nez des parfumeurs dès le début du 19ème siècle. La fève tonka entre même dans la composition de l’iconique Chanel n°5.
Une odeur mais aussi une saveur unique. Celle qu’on appelle aussi la vanille d’Amazonie se retrouve dans les vitrines des pâtissiers et les tables des restaurants européens.
Fèves de cumaru, avant d'être retirées du noyau qui les entoure (c) Jucarepa
Madame Brésil est une épicerie fine de produits brésiliens et amazoniens. Créée par la cheffe brésilienne Ana Luiza Trajano, l’entreprise cherche à faire connaître les produits des terroirs brésiliens, et en particulier les ingrédients d’Amazonie.
Si des ingrédients comme le tucupi (bouillon de manioc) ou le puxuri (une épice qui ressemble à la noix de muscade) commencent seulement à apparaître dans les menus composés par les chefs français, la fève tonka est un incontournable depuis longtemps.
Comme me l’explique Thais dos Santos, cofondatrice et responsable des opérations : “la fève tonka est un des seuls produits de notre catalogue qui était déjà connu de tous. Notre défi, c’est d’expliquer à nos clients (majoritairement des restaurateurs) la qualité de notre fève tonka. Elle est très fraîche, parce qu’on l’achète directement aux producteurs”.
La réputation de la fève tonka n'est plus à faire sur le marché européen (c) Madame Brésil
Enjeu n°1 du circuit court : la construction d’une relation de confiance avec les producteurs locaux
C’est précisément ce marché, celui de la restauration et de l’agroalimentaire, que l’entrepreneuse approvisionne. Jucarepa (le nom de son entreprise) propose à la vente, sur le marché brésilien principalement, des fèves tonka entières ou en poudre ainsi que du caramel à la fleur de sel et au cumaru.
“Mon entreprise a une relation très proche avec les personnes qui produisent les fèves tonka que je revends. Ce sont à la fois des producteurs extractivistes (des personnes qui vont collecter les fèves dans des forêts) et des petits agriculteurs qui plantent des arbres à cumaru.”
Juliana Carepa va à la rencontre de celles et ceux à qui elle achètent les fèves avant de les transformer dans son laboratoire et de les revendre. Ce travail de terrain lui permet à la fois de garantir leur qualité et l’impact environnemental et humain de leur production.
La production de la fève tonka est souvent informelle : ses interlocuteurs n’ont pas toujours de CNPJ (le SIRET brésilien) et encore moins de label qui garantit que leur production est faite en bio. Un label coûte de l’argent : il faut payer un cabinet qui va venir analyser les conditions de production tous les deux mois.
Une option qui n’est viable financièrement ni pour elle ni pour ses fournisseurs. L’entrepreneuse s’est donc improvisée ingénieure forestière. Elle se rend sur les plantations de ses fournisseurs pour comprendre la manière dont ils travaillent et s’assurer de l’impact environnemental de la production.
Dans le cas des populations extrativistes (qui vont collecter), le problème ne se pose pas : les fèves sont sauvages, donc biologiques.
Une étape fondamentale : le séchage des fèves (c) Jucarepa
La bioéconomie désigne la promotion d’activités économiques basées sur des ressources naturelles (ici la fève tonka), dans le respect des limites de la biosphère et qui rémunèrent justement les populations locales.
Dans cette perspective, la définition du prix est clé. (j’en parlais la semaine dernière, dans mon article sur les échecs de Ford ,l’entrepreneur et milliardaire, en Amazonie).
“La définition du prix juste est difficile. Il y a beaucoup de thèses différentes. Mais pour moi, le plus important c’est de comprendre le temps passé par le producteur, pour la récolte, l’argent investi pour la plantation, le temps passé à casser le noyau de chaque fruit. Tout cela doit rentrer en compte dans définition du prix”.
Les fruits sont ramassés lorsqu’ils tombent au sol. Ensuite, il faut pour chaque fruit extraire le noyau et de chaque noyau extraire une unique fève. Après cela, commence le processus de séchage et de torréfaction.
Au bout du compte, la cheffe d’entreprise va payer un prix supérieur à la moyenne du marché, à 168 reais le kilo en moyenne (27 euros), sur un marché où le prix d’entrée de la matière brute commence à 90 reais (14 euros).
“C’est aussi une manière de fidéliser mes fournisseurs”, me précise-t-elle. Au total, ce sont 15 familles qui sont impactées, dont 70% des revenus dépendent de la fève tonka.
Arbre à Cumaru (c) Eniel David Cruz/Embrapa
Enjeu n°2 du circuit court : garantir une transformation sur place et une demande locale
Son laboratoire, incubé par l’Université Fédérale du Para (UFPA) lui permet de transformer sur place la matière première. Quand elles arrivent par bateaux à Belém, les fèves sont identifiées (pour garantir la traçabilité), triées (pour garantir la qualité), séchées et torréfiées (pour être mises aux normes) avant d’être transformées.
Un choix qui n’est pas anodin : à Belém, les infrastructures sont encore embryonnaires et il est presque systématiquement plus facile et plus rentable d’avoir recours à des usines localisées dans le sud-est du pays (Sao Paulo et Rio de Janeiro notamment).
“Ce serait plus facile d’envoyer mes fèves directement depuis Santarém à Sao Paulo. Sauf qu’à la différence des autres acteurs du marché, je suis d’ici, d’Amazonie. Je crois que ça n’a pas de sens d’exploiter une ressource naturelle amazonienne sans que cela n’ait d’impact pour les gens d’ici.”
Évidemment cela a un coût, qui se répercute sur le prix payé par le consommateur final. Mais en fin de compte, le prix est le même qu’une autre étoile de la gastronomie mondiale : la vanille.
Elle développe en ce moment un extrait de fève tonka avec un objectif en tête : concurrencer cette cousine au succès insolent. Mais pas forcément sur le marché international.
“C’est mon défi personnel : je veux évangéliser le marché locale pour que les gens d’ici consomment des produits de la bioéconomie amazonienne”.
Dans les villes notamment, où vit 73% de la population (j’en parlais dans cet article sur Belém), les gens ne consomment pas la fève tonka et beaucoup ignorent même son existence.
“Quand je parle de la fève tonka ici, les gens ne savent pas ce que c’est. Les gens qui connaissent en ont entendu parler sur Masterchef”.
La version brésilienne remporte un grand succès d’audience et permet aux brésiliens de se réapproprier leurs cuisines et les ingrédients de leurs terroirs. Et notamment, la fève tonka qui vient très souvent remplacer la vanille.
Cela peut paraître paradoxale pour un public français habitué à la valorisation du terroir et de la consommation locale. En Amazonie, et au Brésil en règle général, ce qui vient de l’extérieur est bien souvent plus valorisé que ce qui vient du terroir local.
Crumble de coco au cumaru, dessert réalisé dans Masterchef (c) Masterchef
Ce sont donc des entreprises extérieures, du sud-est du pays ou de l’étranger, qui viennent acheter une matière première qui sera valorisée et vendue en dehors d’Amazonie. La plus-value est exportée et l’impact environnemental et social considérablement limité.
Les yeux du monde se tourne vers l’Amazonie. D’autant plus depuis l’annonce de l’organisation de la COP30 à Belém en novembre de cette année.
La bioéconomie est souvent vue comme une solution miracle pour “développer un modèle qui concilie tradition et innovation, la vie des gens et la vie de la forêt”, comme l’annonce le grand plan étatique lancé par le gouvernement du Para en 2022.
Pour cela, souligne Juliana Carepa, il est clé “d’accompagner et protéger les acteurs locaux pour favoriser la transformation des produits sur place”.
Pour finir, Juliana Carepa, qui avant d’être entrepreneuse est une fan de fève tonka, me révèle comment elle préfère la consommer. Elle le râpe dans le beurre quand elle se fait un oeuf au plat. Testé et approuvé.
La semaine prochaine : on continue à explorer le terroir amazonien
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Cannadiesel - La police fédérale de Belém se met elle aussi au greenwashing. Le projet Cannabiocombustivel, lancé officiellement cette semaine, vise à transformer le cannabis saisi lors d’opérations policières en biocarburant et en biocharbon qui pourrait être utilisé comme fertilisant. Une idée fumeuse ?
Le nerf de la guerre - Le président de la COP30 prépare déjà le terrain pour relever ce qui sera certainement le gros défi de sa présidence : le financement de la transition. Les pays en développement réclament 1,3 trillions de dollars d’ici à 2035 pour financer leur transition. Seuls 300 milliards ont été confirmés à Baku, lors de la dernière COP.
“Nous devons élargir la discussion sur le financement climatique et penser au-delà des mécanismes traditionnels” a-t-il déclaré devant un parterre de responsables financiers et de représentants d’organisations internationales à Brasilia ce lundi. Sans poser ses cartes sur la table ni dévoiler les mesures qui pourraient être prises.
Dona Miraci, mon herboriste préférée (c) archive personnelle Hugo Kloeckner
Jeudi 28 mars, Ver-o-peso (veropa pour les intimes), plus grand marché à ciel ouvert d’Amérique latine, a fêté ses 398 ans. Poumon de la ville, il est approvisionné directement par bateau en poisson et en açai. Y aller, c’est avoir la sensation de plonger dans les Halles du Ventre de Paris de Zola, sous perfusion tropicale. C’est la quintessence de la culture paraense. C’est aussi mon endroit préféré à Belém. J’habite à 2 pâtés de maison.
Je reviendrai sur cet endroit magique dans une prochaine édition. D’ici là, la reco d’aujourd’hui est faite pour les contemplatifs qui aiment voyager entre deux réunions. Discover Belém est une chaîne youtube qui filme sans commentaire et à la gopro des promenades dans la ville. La vidéo que je vous recommande aujourd’hui va vous emmener à Veropa.
Et vous pouvez toujours aller écouter la playlist Station Amazonie pour découvrir les chansons qui font danser la ville. Au menu : technobrega, carimbo (le rythme régional), brega (la mère de la technobrega), guitarrada (un type de lambada amazonienne) pop, rap… Il y en a pour tous les goûts! C’est laquelle votre préférée ?
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